Quand les biocarburants "écolos"
affament l'Afrique
Extraits de l’article du Grand Soir
La dernière frontière du colonialisme : l’accaparement des terres
« Deux-tiers des terres et des ressources naturelles
« accaparés » au cours des dernières années sont en Afrique…
Tout ceci se passe dans les pays en voie de développement où les ventres
crient bien trop souvent famine. La sous-alimentation et la malnutrition sont
encore très importantes, comme le montre le dernier rapport de la FAO sur l’insécurité
alimentaire dans le monde. Pourtant, on y importe la nourriture à
un prix élevé…
En ce qui concerne l’Afrique, les prévisions sont apocalyptiques. Rights and Ressources Initiatives, une confédération internationale d’ONG, a publié en février 2012 le
résultat d’une enquête menée dans trente-cinq pays africains.
Il ressort qu’au moment où ce
continent connaît une croissance exponentielle de ses besoins alimentaires, les
nouveaux investisseurs ont pris pour cible les terres des communautés rurales,
qui contrôlent traditionnellement un milliard 400 millions d’hectares composés
de forêts et de terres arables…
Les terres fertiles sont destinées à la production de biocarburants dont on tire de l’énergie, et ce au détriment des
cultures alimentaires. »
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18 mars 2014
La dernière frontière du
colonialisme : l’accaparement des terres
Après la crise financière de 2007, les terres cultivables (et
particulièrement celles situées dans les pays en voie de développement) sont
devenues l’objet d’un frénétique accaparement dans lequel se sont engagées les pétromonarchies
arabes, riches en liquidités mais pauvres en terres arables ou des
multinationales de l’agro-business, intéressées par la création d’immenses
plantations pour la production de biocarburants.
On retrouve également un certain
nombre d’entreprises financières convaincues que l’investissement dans la terre
peut garantir des profits en toute sécurité. On voit apparaître au final une
véritable forme de colonialisme qui risque de modifier l’équilibre
international, comme le montrent les récentes révoltes en Afrique du nord liées
à l’augmentation du prix des denrées alimentaires.
On a commencé récemment à considérer la crise alimentaire comme un
phénomène structurel, dont le land
grabbing (l’accaparement de vastes portions
de terres dans les pays en voie de développement, NDLR) est un aspect
particulièrement préoccupant.
Les grands investisseurs, avec la
bénédiction des gouvernements locaux corrompus et le coupable appui des
organismes internationaux, ont lancé une ambitieuse campagne pour prendre le
contrôle de la terre et de l’eau en les soustrayant au contrôle des paysans
d’Afrique et d’Amérique du sud.
Ces derniers se plaignent des graves dommages sociaux et environnementaux
produits par les grands propriétaires terriens, mettant l’accent sur les
dangers qui pèsent sur eux lorsque le prix des denrées alimentaires fluctue un
peu trop sur les marchés internationaux. La course pour le contrôle des terres
et de l’eau a pour toile de fond une crise plus générale liée à la distribution
et l’utilisation des ressources qui apparaissent de plus en plus limitées.
Derrière le land grabbing se
cache un colonialisme cruel et pervers où les terres fertiles des pays pauvres
se négocient pour trois fois rien.
On enregistre depuis une dizaine
d’années une hausse constante de la demande mondiale en denrées alimentaires et
en biocarburants. Des pays riches n’ayant ni terres arables ni eau (comme
l’Arabie saoudite) ou qui comptent une forte densité de population (comme le
Japon) ont commencé depuis longtemps à acquérir ou à louer sur le long terme
des terres à l’étranger.
En 2009, Daewoo logistics avait
d’ailleurs prévu de produire du maïs et de l’huile de palme sur 1.300.000 hectare de
terres agricoles de Madagascar soit près de la moitié des terres arables du
pays. Il n’y a dans la plupart des cas aucune difficulté à faire main basse sur
les terres convoitées : les paysans qui la travaillent vivent dans la
pauvreté et ne possèdent que trop rarement un titre de propriété.
Le phénomène de l’accaparement
des terres touche tous les continents, à l’exception de
l’Antarctique. 47 % des États touchés par le phénomène se trouvent en
Afrique et 33 % en Asie.
Enfin, 90 % des terres
cédées sont concentrées dans vingt-quatre pays.
Tout ce qui y est cultivé l’est grâce à l’eau : à partir du moment où
cette ressource est exploitée, surtout dans les zones où on enregistre déjà une
malnutrition diffuse, la situation s’aggrave. Les gouvernements locaux, qui
cèdent à des prix dérisoires des régions entières (un hectare de terrain ne
coûte parfois qu’un ou deux dollars par an dans certaines contrées) sont, avec
les acheteurs, les principaux gagnants de ce business hors
norme. Bien entendu, ces tarifs favorisent la venue d’investisseurs étrangers,
y compris dans des zones vierges de toute infrastructure ou politiquement
instables.
Mais une fois cette terre vendue, le vendeur est
indifférent à l’utilisation qui en est faite ; il n’existe aucune
protection sociale et environnementale, et des régions entières peuvent être
polluées ou vidées de toutes ses ressources sans qu’aucune autorité ne lève le
petit doigt.
Les communautés locales sont de surcroît souvent chassées des terres
qu’elles travaillent depuis des générations. Mais les indigènes les plus
chanceux seront embauchés comme ouvriers dans la nouvelle entreprise pour des
salaires de misère. José Graziano da Silva, directeur général de la FAO
(organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), a
récemment comparé l’accaparement des terres en Afrique à la conquête de l’Ouest
sauvage. C’est dire s’il semble difficile de
freiner ce phénomène barbare...
L’accaparement sauvage des terres
émane principalement des industries produisant des biocarburants qui
nécessitent de vastes étendues pour cultiver le palmier à huile, le maïs, le
colza, le tournesol, la canne à sucre et d’autres espèces de plantes à partir
desquels elles obtiennent les carburants alternatifs aux produits pétroliers.
Pour rendre attrayant ce type d’investissement, il convient de bien
déterminer les termes des contrats qui vont être conclus. Deux-tiers des terres
et des ressources naturelles « accaparés » au cours des dernières
années sont en Afrique et plus particulièrement en Afrique sub-saharienne. Ceci
est une donnée essentielle pour comprendre la portée et les conséquences de ce
phénomène.
Il est évident que les terres
rurales apporteraient beaucoup plus aux populations autochtones si ces
dernières les cultivaient, les exploitaient et vendaient elles-mêmes leurs
produits aux entreprises et aux États étrangers.
Ce serait encore plus profitable si elles avaient les moyens de développer
des industries locales de transformation de produits récoltés. Les dégâts
provoqués par l’accaparement des terres sont encore plus importants quand on
considère que de nombreuses familles, parfois des milliers, perdent leur foyer
et leurs moyens de subsistance pour faire place nette aux nouveaux
propriétaires des lieux.
Tout ceci se passe dans les pays en voie de développement où les ventres
crient bien trop souvent famine. La sous-alimentation et la malnutrition sont
encore très importantes, comme le montre le dernier rapport de la
FAO sur l’insécurité alimentaire dans le monde. Pourtant, on y importe la nourriture à un prix élevé.
En ce qui concerne l’Afrique, les prévisions sont apocalyptiques. Rights and Ressources Initiatives, une confédération internationale d’ONG, a publié en février 2012 le
résultat d’une enquête menée dans trente-cinq pays africains.
Il ressort qu’au moment où ce
continent connaît une croissance exponentielle de ses besoins alimentaires, les
nouveaux investisseurs ont pris pour cible les terres des communautés rurales,
qui contrôlent traditionnellement un milliard 400 millions d’hectares composés
de forêts et de terres arables.
Mais les systèmes juridiques en place dans la plupart des États africains
ne leur reconnaissent que très rarement des droits de propriété. Partout, c’est
l’État qui s’est emparé de ces terres ou de ces forêts. Et partout, c’est
l’État qui distribue des droits d’exploitation à des grandes sociétés
étrangères.
Selon l’un des dirigeants de Rights
and Ressources Initiatives, Jeffrey Hatcher, « dans les
trente-cinq pays africains étudiés, l’essentiel des terres agricoles a été
confisqué par les États. Ce phénomène affecte 428 millions de paysans pauvres
de l’Afrique sub-saharienne ».
L’Afrique est un continent frappé chaque année par les pénuries
saisonnières et parfois par une pénurie de produits alimentaires de base. Pis,
les terres fertiles sont destinées à la production de biocarburants dont on
tire de l’énergie, et ce au détriment des cultures alimentaires. Lorsque la
terre et l’eau sont des sources de profits comme une autre et qu’on « tire
avantage de la hausse du prix des denrées alimentaires », on spécule
avec la famine. C’est néanmoins une vision à très court terme car une situation
qui voit des pans entiers de l’humanité vivre dans la misère porte
nécessairement en elle les germes de la guerre.
Capitaine Martin