mardi 26 novembre 2013

A Christiane Taubira, victime du racisme républicain


A Christiane Taubira, 
victime du racisme républicain
                                                                                                             Alain Vidal

François Hollande rendant hommage à l'école de Jules Ferry.
 Christiane Taubira avec Jean-Marc Ayrault au mémorial de Nantes

Christiane Taubira, vous êtes victime d’un racisme républicain institué par Jules Ferry en 1881, vous êtes victime d’une idéologie raciale qui, à partir de l’école, s’est transmise jusqu’à aujourd’hui, telle une réaction en chaîne, de génération en génération. Encore enseigné dans les classes, il y a une soixantaine d’années, ce racisme, naturalisé par l’habitude, reste très vivace dans la population.
La non reconnaissance par la France d’un racisme d’Etat inscrit sur une si longue durée, rend difficile, pour beaucoup, un véritable travail de remise en question. De même qu'une frontière n'arrête pas un nuage radioactif, la modification des programmes scolaires sans référence au passé, ne peut stopper la propagation de représentations raciales transmises par l'Ecole de la République.
Christiane Taubira, vous n’êtes pas sans savoir qu’au XXème siècle, le racisme eut officiellement droit de cité dans la France républicaine bien avant que l’antiracisme ne soit reconnu.
Christiane Taubira, vous n’êtes pas sans savoir que Jules Ferry a rétabli l’esclavage en 1881 en faisant voter le Code de l'Indigénat par l'Assemblée Nationale. De la sorte, 52 ans avant les premières lois anti-juives promulguées par Hitler, 70 millions de sujets français seront soumis à un corpus de lois raciales, dans les trois départements d’Algérie, en Afrique Noire, à Madagascar, en Nouvelle-Calédonie et en Indochine.
 Le racisme sera érigé en valeur républicaine, et ce, malgré les protestations indignées de Victor Schœlcher au Sénat, un an auparavant :
« L’autorité française viole la loi de 1848, accepte la légitimité de l’esclavage. Au lieu d’élever l’esclave jusqu’à la liberté, elle abaisse la liberté jusqu’à l’esclavage. S’il faut encore lutter pour l’abolition de l’esclavage sous la République, je lutterai aussi énergiquement que jamais.»
Mais Ferry resta sourd à l’indignation du père de l’abolition de 1848.
Qualifié à  l'époque par des juristes de monstruosité juridique, le Code de l'Indigénat a institué le racisme d'Etat jusqu'en 1946 date à laquelle ce Code fut aboli. Ni le Front populaire, ni la France libre  n’avaient osé prendre pareille décision. Mais en réalité, ce n’est qu’en 1962 que cet état de fait cessa.
Christiane Taubira, il nous est impossible d’oublier que, fraîchement élu président de la République, François Hollande s’est empressé d’aller, le jour même de son investiture, au jardin des Tuileries devant la  statue de Jules Ferry, rendre un vibrant hommage à celui qui institua l’Ecole pour tous. Mais le chef de l’état fit silence sur la sinistre mission confiée aux enseignants, celle d’éduquer des générations successives d’écoliers au racisme d’Etat. La propagande raciale, serait-elle un détail de l’histoire? 
Ainsi endoctrinée par l’école, la  jeunesse adhérera massivement à l’esprit de la  colonisation dans le droit fil du discours du 28 juillet 1885 prononcé par Ferry à la chambre des députés:
 « La colonisation est fille de la politique industrielle. La paix sociale est une question de débouchés. L'exportation est un facteur essentiel de la prospérité publique et le champ d'emploi des capitaux, comme la demande du travail, se mesure à l'étendue du marché étranger. La consommation européenne est saturée ; il faut faire surgir de nouvelles couches de consommateurs. Les colonies sont pour les pays riches, le placement de capitaux le plus avantageux. Les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures.»
Pour assumer pareille mission, Jules Ferry s'entoura de collaborateurs dévoués à la cause, tel Paul Bert de la Ligue de l'enseignement, auteur de manuels scolaires dans lesquels, par exemple, on lisait:
 « Les Nègres ont la peau noire, les cheveux frisés comme de la laine, les mâchoires en avant, le nez épaté. Les Nègres, peu intelligents, n'ont jamais bâti que des huttes parfois réunies en assez grand nombre pour faire une ville. La race intelligente entre toutes, celle qui envahit et tend à détruire ou à subjuguer les autres, c'est celle à laquelle nous appartenons, c'est la race blanche.» 
Pour Paul Bert qui fut lui aussi ministre de l’Instruction publique, « Il faut placer l'indigène en position de s'assimiler ou de disparaître. »
A noter que, de 1877 jusqu’après la deuxième guerre mondiale, les instituteurs utilisèrent Le tour de France par deux enfants comme livre de lecture, un manuel où les Européens  étaient  ainsi présentés, « La race blanche, la plus parfaite des races humaines. »
 L’Ecole de la troisième République fut pour les capitaines d’industrie un outil indispensable pour obtenir le consentement des Français à l'esprit de la très grande France, à l’esprit de la course au profit au nom des intérêts supérieurs du grand patronat...
Christiane Taubira, comment espérez-vous en finir avec les caricatures et les insultes nauséabondes proférées à votre égard, tant que l'on enseignera aux élèves l’exemplarité d’une troisième République qui, en dépit des lois raciales, aurait « œuvré à l’élargissement des libertés fondamentales »?
Bien que le Code de l’Indigénat ait été aboli, aucune abolition n’aura l’efficacité d’un travail pédagogique de longue haleine autour de la reconnaissance publique des racines républicaines du racisme.
Une éducation à l'antiracisme exige la connaissance de ces pages sombres où tout un peuple fut si mal éduqué : par le biais de la littérature, du cinéma, des réclames comme le petit déjeuner Banania, ou les promenades du dimanche en famille, dans les zoos humains…moments privilégiés où l'on s'amusait à lancer des cacahuètes à des mamans africaines donnant le sein à leur bébé ! Tout cela jusqu’au cœur du vingtième siècle, dans une France où, comble de l’hypocrisie, on  manifestait, non pas contre les lois raciales de son propre pays, mais uniquement contre celles du voisin, celles de l’Allemagne nazie!
Il est vrai que les Français ont été victimes d’une longue tradition de racisme banalisé par des personnalités républicaines faisant autorité, et qui défendaient un capitalisme conquérant initié par la grande bourgeoisie:
En 1871, Renan, dans La Réforme intellectuelle et morale de la France: « Une race de maîtres et de soldats, c'est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien.  Nous aspirons, non pas à l’égalité, mais à la domination. Le pays de race étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journaliers agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s’agit pas de supprimer les inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d’en faire une loi. »
En 1879, Hugo, lors d’un banquet républicain : « Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L'Europe le résoudra. Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires.»
En 1933, Barthélemy et Duez, dans Traité de droit constitutionnel: « Notre système impérial présuppose l’inégalité des races ». En 1946, Dufrenoy dans Précis de droit colonial: « Ne nous imaginons pas que la privation de liberté ou la chicote [le fouet] tant honnie soient une atteinte insupportable à leur personne [les nègres] morale et physique.» En 1948-1949, Deschamps, à la Faculté de Droit de Paris : « Le système ancien [l’esclavagisme] avait pour lui cet avantage qu’il existait et qu’il entretenait les routes…»
Malgré tout, un courant antiraciste existait bel et bien, qu’on songe à Camille Pelletan, à Clémenceau, en 1885, interpelant et condamnant publiquement les propos de Ferry à la Chambre. En1914, le député Charles Dumas plaide dans le même sens. En 1906, Anatole France proteste publiquement contre la barbarie coloniale. En 1929, le grand journaliste Albert Londres : « L’esclavage en Afrique, n’est aboli que dans les déclarations ministérielles.»
En 1943, Simone Weil, des Forces françaises libres : « La colonisation les réduit à l’état de matière humaine. Les populations des pays occupés ne sont pas autre chose aux yeux des Allemands. Le travail forcé a été extrêmement meurtrier dans l’Afrique noire française, et la méthode des déportations massives y a été pratiquée pour peupler la boucle du Niger ». 
Depuis, est venu le temps de la dissimulation.
Christiane Taubira, vous qui étiez présente à Nantes le 25 mars 2012, pour l’inauguration du mémorial à l’abolition de l’esclavage, initié par le député-maire Jean-Marc Ayrault, aujourd’hui premier ministre, vous avez lu ces lignes gravées, « L’esclavage est rétabli par Napoléon en 1802. Il faut attendre Victor Schœlcher et la deuxième République pour que l’esclavage soit définitivement aboli en France et dans ses colonies le 27 avril 1848 ».
Par contre, nulle part, vous n’avez pu y lire que Jules Ferry a rétabli l’esclavage en 1881, et nulle part non plus, qu’il faut attendre 1946 et la quatrième République pour que Félix Houphouët-Boigny monte à la tribune de l’assemblée nationale et demande d’abolir « cet esclavage déguisé qu'est le travail forcé.» Ainsi les députés dont Aimé Césaire, abolirent le Code de l’Indigénat. Avant l’inauguration, deux  associations, Libérons La Monnaie et Au-delà de la Servitude, avaient alerté les responsables du Mémorial de ces manquements à l’histoire, dans le cadre de réunions, puis par courrier…Bien qu’une réponse écrite n’ait pas contesté cet argumentaire, rien n’y fit, ces rappels restèrent lettre morte.
Autre oubli de taille, dans ce mémorial, pas la moindre mention au Code Noir édicté par Colbert sous Louis XIV.
Christiane Taubira, œuvrez pour que partout soit rétablie la vérité historique. Agissez pour que le discours de Jules Ferry du 28 juillet 1885 soit lu et commenté dans les établissements scolaires, que le Code de l’Indigénat soit connu et étudié, que des expositions relatent avec documents, films et chansons à l'appui comment, par une propagande quotidienne, le racisme a pu cancériser une société pour si longtemps en s’installant dans la banalité du mal.
Christiane Taubira, l’histoire n’est pas un roman national ; le devoir de mémoire ne saurait s’exonérer d’un devoir d’histoire expurgé de toute occultation, de toute affabulation, de tout négationnisme. Que les racines républicaines du racisme soient portées à la connaissance de tous pour qu'enfin, dans les familles, des parents cessent d'instrumentaliser des enfants de douze ans qui, comme à Angers, agitent des bananes en votre présence...Face à cela, condamnations, pétitions et manifestations sont  nécessaires, mais n’auront jamais l’efficacité d’un travail de conscientisation sur le long terme.
Ce racisme d’Etat a été  d’autant plus dévastateur que la troisième république se réclamait des droits de ’homme.
La construction du racisme appelle sa déconstruction.
L’esprit colonisé ne peut se décoloniser que s’il prend conscience du processus de sa colonisation.
Le racisme ce n’est pas naturel, ça s’apprend…et ça se désapprend.
Alain Vidal
Libérons La Monnaie, Nantes le 24/11/13

·     tous les articles