Commission française d’enquête parlementaire,1833:
En 1830, tous les Algériens savaient
lire, écrire et compter,
En 1830, tous les Algériens savaient
lire, écrire et compter,
« et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus »
Maréchal Bugeaud:
Fumez-les [les Arabes] à outrance,
comme des renards
comme des renards
Invasion et
occupation
de l’Algérie par la France
de l’Algérie par la France
1830-1871
Michel Habart, au travers d’un considérable
travail d’archives, est l’auteur de « Histoire d’un parjure »
publié par les éditions de Minuit en 1960.
La quasi-totalité des citations proviennent d’ouvrages et de documents consultables par internet sur le site Gallica. Gallica est la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale française En libre-accès, elle regroupe des livres numérisés, des cartulaires, des revues...
Les témoignages sont formels, en 1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter, « et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus » rapporte la Commission d’enquête parlementaire de 1833.
Les Algériens sont beaucoup plus cultivés qu’on ne croit,
note Campbell en 1835 :
« A notre arrivée, il y avait plus de
cent écoles primaires à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen. Alger et
Constantine avaient chacune six à sept collèges secondaires, et l’Algérie était
dotée de dix zaouia (universités).
Chaque village ou
groupe d’habitants avait son école. Notre occupation leur porta un coup
irréparable. »
Et « Mgr Dupuch
nous répond, en déplorant qu’en 1840 il n’ait trouvé que deux ou trois
instituteurs pour toute la province d’Alger. En 1880, on ne trouvait encore que
treize (je dis bien treize) écoles franco-arabes pour toute l’Algérie. »
En 1929,
George Marcais prend la direction du Musée des Antiquités et de l'Art Musulman
d'Alger et en 1935 intègre l'Institut
d'Études Orientales comme directeur. Georges Marçais a doté l'histoire
de l'art et des civilisations du Maghreb d'études exceptionnelles.
Alexis de Tocqueville, |
Alexis de Tocqueville, chargé du rapport concernant les travaux
parlementaires sur l’Algérie :
« Ce qu’il faut, c’est donner des livres
à ce peuple curieux et intelligent. Ils savent tous lire. Et ils ont cette
finesse et cette aptitude à comprendre qui les rend si supérieurs à nos paysans
de France. »
A la commission d’enquête qui lui
demande ce qui manque le plus aux Maures d’Algérie, un dignitaire algérien, Boudaba,
répondra :
« Des journaux ».
Et le Général Pélissier, pourtant gouverneur général
de l'Algérie, affirme qu’avant l’arrivée de l’armée française :
« Alger était peut-être la
ville du monde où la police était la mieux faite… Avec nous, les vols, naguères
presqu’inconnus, se multiplient dans des proportions effrayantes. »
Dans le rapport Valazé, en 1830, il est
dit :
« Le pays nous
paraît riche, cultivé, couvert de bestiaux, de maisons et de jardins soignés.
Il est difficile de se figurer les milliers de maisons de campagne qui couvrent
ce beau pays. C’est un coup d’oeil qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, sauf
dans les environs de Marseille, beaucoup moins étendus, agréables et
fertiles. »
Mais changement de ton avec Clauzel, général en chef des troupes d'Algérie, arrivé à Alger en 1830, et qui
déclare ses intentions ouvertement génocidaires:
« Les
avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races
indigènes avaient disparu, et si nous pouvions jouir de notre conquête en
sécurité, condition première de toute colonisation. Ce but atteint, il sera bon
de voir ce que font les Anglais de leurs colonies… Colonisons, colonisons! A
nous la Mitidja! A nous la plaine! Toutes ces terres sont de première qualité.
A nous seuls! Car pas de fusion possible avec les Arabes! ».
(dans L’Afrique française, 1840)
Fait rarissime, le comte Le Hon, rapporteur de la commission d’enquête
en 1869, n’hésite pas à accuser :
« Pourquoi les
Arabes dépérissent ? Tant que rien n’a été changé à la constitution des Arabes,
ils ont pu, par les produits de la terre, subvenir à leurs besoins… Ce peuple
étant devenu un peuple de khamès sans terre et sans silos, les hommes, femmes
et enfants sont allés mourir de faim autour des centres de colonisation. Ils
sont morts sans se plaindre. »
« Cent ans de capitalisme en Algérie »,
de Robert Louzon,
mai 1930,
(extraits)
La légende du coup de l’éventail
« En 1794, la France était
attaquée de tous côtés. Non seulement son territoire était envahi sur
plusieurs points, mais son peuple et son armée risquaient d’être affamés. Ne
produisant pas assez pour subvenir à ses besoins, elle ne trouvait nulle part
où acheter le complément de grains qui lui était nécessaire. Nulle part… sauf
en Algérie, dont le dey offrit à la Convention toutes facilités pour faire ses
achats de blé.
Deux ans plus tard,
le Directoire a succédé à la Convention, mais la guerre n’en continue pas
moins, et l’Angleterre continue à poursuivre son plan d’affamer les armées de
la République ; en outre… le Trésor est vide, ou presque. Le dey d’Alger offre
alors au gouvernement français de lui prêter un million, sans intérêts, pour les achats
de blé que celui-ci aurait à effectuer en Algérie. Le gouvernement français
accepte.
Les achats de blé
ainsi effectués dépassent de beaucoup le million prêté ; la France ne les paie
pourtant point. Qu’importe !
Le dey d’Alger,
lui, se contenta de demander des explications. Il les demanda par écrit au
gouvernement français, et comme celui-ci ne répondait pas, il les demanda
verbalement au consul de France…Dans ces conditions, quand on n’a pas
d’explications valables à fournir, il n’est qu’une ressource : c’est le prendre
de haut. C’est ce que fit Deval. Alors, furieux, le dey s’emporta, injuria, et
finalement donna au « représentant de la France » un coup de son chasse-mouche.
On tenait le
prétexte !
Le gouvernement
français, convaincu de mauvaise foi, allait châtier le dey coupable d’avoir «
injurié la France ». Car l’« honneur de la France » ne consistait pas à payer
ses dettes le plus vite possible, l’« honneur de la France » ne consistait pas
à respecter la parole donnée ; l’« honneur de la France » consistait à frapper
celui qui lui reprochait ses actes déshonorants…Il n’est pas un manuel
d’histoire élémentaire qui ne contienne quelques illustrations du dey frappant
le « représentant de la France», mais ce n’est que dans quelques rares livres,
tirés à un petit nombre d’exemplaires, et enfouis dans les bibliothèques, qu’on
peut trouver des renseignements sur les raisons pour lesquelles le dey était,
ce jour-là, si fort en colère. »
Et le 14 juin
1830, les troupes françaises débarquèrent à Sidi Ferruch, plage de sable située
à une vingtaine de kilomètres d’Alger. Quelques jours après, Alger attaqué à
revers, tombait ; le 5 juillet, le dey capitulait. Le « coup
d’éventail » était donc « vengé » ; le blé que le dey avait
fourni à la France n’aurait plus à lui être payé, ni les fortifications de la
Calle à être démolies.
Il restait à
conquérir l’Algérie.
Cela allait
demander quarante ans, près d’un demi-siècle.
La conquête
coloniale de l’Algérie
par les
Français,
quarante années de massacres
De 1830 à 1871,
sous cinq régimes différents, depuis la restauration jusqu’à la Troisième République,
en passant par Louis-Philippe, la République et l’Empire, la bourgeoisie
française va poursuivre la conquête de ce territoire à peine peuplé de cinq
millions d’habitants.
Maréchal Bugeaud |
Quarante ans de
combats, de meurtres et de pillages, quarante ans pendant lesquels, à chaque
moment, telle région qu’on avait hier « pacifiée » se soulevait à
nouveau et devait être « pacifiée » à nouveau, à coup de
« razzia » et de massacres. Quarante ans pour cinq millions
d’habitants ! Quarante ans de guerre entre, d’un côté, un peuple dépourvu
de toute organisation matérielle moderne, et, de l’autre côté, l’armée
française, alors, sans conteste, la première armée d’Europe, l’armée qui était,
hier, celle de Napoléon et qui sera encore celle de Sébastopol et de Magenta.
La conquête de
l’Algérie ne s’est pas effectuée, comme on pourrait le croire, progressivement
du Nord au Sud, par tranches successives partant du littoral et finissant aux
confins sahariens. Tout au contraire, les régions méridionales, Hauts-Plateaux
et zone saharienne, on été plus facilement conquises et les premières
« pacifiées » ; c’est la région la plus proche du littoral, le
Tell, cet ensemble montagneux qui sépare la mer des Hauts-Plateaux, qui a
offert le plus de résistance et n’a été occupé, réellement qu’en dernier lieu.
Le centre de la
première grande résistance à laquelle se heurte la conquête française, celle
que va personnifier pendant onze ans le marabout Abd el Kader, c’est le Tell du
centre et de l’ouest. Les villes d’Abd el-Kader, Mascara, Boghar, etc., sont en
plein Atlas tellien, et le dernier massif d’où Abd el-Kader conduira ses
dernières grandes luttes sera celui de l’Ouarsenis, qui commence à 50
kilomètres de la mer. Après la chute d’Abd el Kader, le dernier bastion de la
résistance sera la Kabylie, Tell de l’est. La grande Kabylie, qui borde la mer,
et qui est à moins de cent kilomètres d’Alger, ne sera occupée pour la première
fois en 1857, et définitivement qu’après 71, alors que les oasis de Biskra et
de Laghouat, en bordure du Sahara, à 400 kilomètres de la mer, seront
conquises, la première dès 1844, et la seconde définitivement, en 1852.
La raison en est
que les Hauts-Plateaux, le Sahara, et même l’Atlas saharien, vieille montagne qui
n’est plus guère constituée que de légères ondulations coupées de larges
couloirs, ne sont que des plaines. Le Tell, au contraire, c’est la montagne. La
plaine, assez peu peuplée d’ailleurs, et peuplée presque exclusivement d’Arabes
plus ou moins nomades, n’a pas pu résister ; c’est la montagne qui a
résisté, la montagne qui, en Algérie, est plus peuplée que la plaine, peuplée
de paysans cultivateurs, la plupart de langue berbère. Cela est conforme à la
règle de toujours et de partout : c’est toujours la montagne qui résiste
au conquérant ; la montagne est partout le dernier asile de
l’indépendance. Ce massif kabyle qui résista le dernier à la conquête
française, est celui qui avait aussi le mieux résisté à la conquête arabe,
puisque s’il a accepté la religion de l’Islam, il a gardé sa langue et son
Droit.
Ce que fut cette
guerre ? Une guerre atroce qui n’eut de la guerre que le nom, j’entends de
la véritable guerre, celle que justifie Proudhon dans La Guerre et la Paix,
c’est-à-dire un combat loyal entre adversaires de force équivalente. Ce ne fut
pas une guerre, ce fut une « expédition coloniale », une expédition
coloniale de quarante années. Une expédition coloniale ça ne se raconte pas, et
on n’ose la décrire ; on laisse Mrs les assassins la décrire eux-mêmes
« La flamme à la main ! »
Saint-Arnaud, qui
devait finir maréchal de France, fit, jusqu’au 2 décembre, à peu près
toute sa carrière en Algérie. Il y était arrivé lieutenant en 1837 ; il en
partit général de division en 1851 ; durant ces quinze années il ne cessa
d’être en colonne, tantôt à l’ouest, tantôt à l’est ; pendant tout ce
temps il écrivit régulièrement à son frère, le tenant presque jour par jour au
courant de ses faits et gestes. Ces lettres ont été publiées. Nous en donnons
ci-dessous des extraits, sans autre commentaire que l’indication de la date et
du lieu.
On trouvera les lettres dont sont extraites les
citations ci-dessous dans Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, pages 141,
313, 325, 379,381, 390, 392, 1472, 474, 549, 556, tome II, pages 83, 331,
340 :
« Le pillage exercé d’abord par les soldats,
s’étendit ensuite aux officiers, et quand on évacua Constantine, il s’est
trouvé comme toujours, que la part la plus riche et la plus abondante était
échouée à la tète de l’armée et aux officiers de l’état-major. » (Prise de
Constantine, octobre 1837.)
« Nous resterons jusqu’à la fin de juin à nous
battre dans la province d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les
possessions de l’émir. Partout, il trouvera l’armée française, la flamme à la
main. » (Mai 1841.)
« Mascara,
ainsi que je l’ai déjà dit, a dû être une ville belle et importante. Brulée en
partie et saccagée par le maréchal Clauzel en 1855. »
« Nous sommes dans le centre des montagnes entre
Miliana et Cherchell. Nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les
douars, tous les villages, toutes les cahutes. L’ennemi fuit partout en emmenant
ses troupeaux » (avril 1842)
« Le pays des
Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Les
villages et les habitants sont très rapprochés. Nous avons tout brûlé, tout
détruit. Oh la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfugiés
dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère !... Il n’y
a pas dans l’armée cinq tués et quarante blessés. » (Région de Cherchell, avril 1842)
« Deux belles armées... se donnant la main
fraternellement au milieu de l’Afrique, l’une partie de Mostaganem le 14,
l’autre de Blidah le 22 mai, rasant, brûlant, chassant tout devant
elles. » (mai 1842, de Mostaganem à Blidah il y a 250 kilomètres.)
« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les
maisons et les arbres. Des combats : peu ou pas. » (Région de
Miliana, juin 1842)
« ... Entouré d’un horizon de flammes et de
fumées qui me rappellent un petit Palatinat en miniature, je pense à vous tous
et je t’écris. Tu m’as laissé chez les Brazes, je les ai brûlés et dévastés. Me voici chez les Sindgad, même répétition
en grand, c’est un vrai grenier d’abondance... Quelques-uns sont venus pour
m’amener le cheval de soumission. Je l’ai refusé parce que je voulais une
soumission générale, et j’ai commencé à brûler. » (Ouarsenis, Octobre
1842)
« Le lendemain 4, je descendais à Haimda, je
brûlais tout sur mon passage et détruisais ce beau village...Il était deux
heures, le gouverneur (Bugeaud) était parti. Les feux qui brûlaient encore dans
la montagne, m’indiquaient la marche de la colonne. » (Région de Miliana,
février 1843.)
« Des tas de
cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la
nuit ! C’était la malheureuse population des Beni-Naâsseur, c’étaient ceux
dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. » (Région de Miliana, février 1843.)
« Les beaux orangers que mon vandalisme va
abattre !... je brûle aujourd’hui les propriétés et les villages de
Ben-Salem et de Bel-Cassem-ou-Kassi. » (Région de Bougie, 2 octobre
1844.)
Saint-Arnaud |
« J’ai brûlé plus
de dix villages magnifiques. » (Kabylie, 28 octobre 1844.)
« II y avait encore des groupes nombreux
d’ennemis sur les pitons, j’espérais un second combat. Ils ne sont pas
descendus et j’ai commencé à couper de beaux vergers et à brûler de superbes
villages sous les yeux de l’ennemi. » (Dahra, mars 1846.)
« J’ai laissé
sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont
été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. » (Petite Kabylie, mai 1851.)
« Nous leur avons fait bien du mal, brûlé plus de
cent maisons couvertes en tuile, coupé plus de mille oliviers. » (Petite Kabylie,
juin 1851.)
Tel est le
témoignage de Saint-Arnaud. Témoignage décisif, mais qui est loin d’être
unique. Tous les officiers d’Afrique, qui ont écrit ce qu’ils ont vu, disent la
même chose.
Massacre des enfants et vente des femmes
Officier d’Afrique
non moins typique que Saint-Arnaud, ce colonel Pein, issu du rang qui resta
vingt-trois ans en Algérie (de 1840 à 1863), et qui occupa les loisirs de sa
retraite à composer un petit ouvrage sur l’Afrique. A la différence de
Saint-Arnaud, ce fut surtout dans le Sud qu’il eut à opérer.
Voici comment il
décrit la prise de Laghouat, à laquelle il assista (2 décembre
1852.) :
« Le carnage fut affreux ; les habitations,
les tentes des étrangers dressées sur les places, les rues, les cours furent
jonchées de cadavres. Une statistique faite à tête reposée et d’après les
meilleurs renseignements, après la prise, constate le chiffre de 2 300 hommes,
femmes ou enfants tués ; mais le chiffre de blessés fut insignifiant, cela
se conçoit. Les soldats, furieux d’être canardés par une lucarne, une porte
entrebâillée, un trou de la terrasse, se ruaient dans l’intérieur et y
lardaient impitoyablement tout ce qui s’y trouvait ; vous comprenez que,
dans le désordre, souvent dans l’ombre, ils ne s’attardaient pas à établir de
distinction d’âge ni de sexe : ils frappaient partout et sans crier
gare ! » (Pein, Lettres familières sur l’Algérie, 2e édit,
p. 393).
C’est tellement
l’habitude de massacrer femmes et enfants qu’une fois que le colonel Pein ne
put le faire, il éprouva le besoin de s’en excuser dans une lettre :
« Les Ouled Saad avaient abandonné femmes et
enfants dans les buissons, j’aurais pu en faire un massacre, mais nous n’étions
pas assez nombreux pour nous amuser aux bagatelles de la porte : il
fallait garder une position avantageuse et décrocher ceux qui tiraient sur
nous. »
(Pein, Lettres
familières sur l’Algérie, 2e édit., p. 26.)
Ainsi, si les
femmes et les enfants des Ouled Saad n’ont pas été « massacrés »,
c’est uniquement pour raison stratégique ! Si on avait été plus nombreux,
toutes et tous y auraient passé, on se serait « amusé aux bagatelles de la porte ! »
Certains généraux
cependant préféraient qu’on ne massacre pas les femmes, mais qu’on s’en
empare...et qu’on les vendent. Telle était la méthode préférée de Lamoricière.
Dans les lettres qu’il écrivait à sa famille, l’un des
subordonnés de Lamoricière, le colonel de Montagnac, décrit ainsi le système
« Vive Lamoricière ! Voilà ce qui s’appelle
mener la chasse avec intelligence et bonheur !... Ce jeune général
qu’aucune difficulté n’arrête, qui franchit les espaces en un rien de temps, va
dénicher les Arabes dans leurs repaires, à vingt-cinq lieues à la ronde, leur
prend tout ce qu’ils possèdent : femmes, enfants, troupeaux, bestiaux,
etc. » (1er février 1841).
Dans la région de
Mascara, le 17 janvier 1842 :
« Nous poursuivons l’ennemi, nous lui enlevons
femmes, enfants, bestiaux, blé, orge, etc. »
Le 11 février
1842 :
« Pendant que nous rasons de ce côté, le général
Bedeau, autre perruquier de première qualité, châtie une tribu des bords du
Chélif... leurs enlève force femmes, enfants et bestiaux... »
Plus tard, étant
cette fois en Petite-Kabylie, de Montagnac appliquera à nouveau le système
Lamoricière :
« Nous nous sommes établis au centre du
pays...brûlant, tuant, saccageant tout... Quelques tribus pourtant résistent
encore, mais nous les traquons de tous côtés, pour leur prendre leurs femmes,
leurs enfants, leurs bestiaux. » (2 mai 1843).
Pourquoi prenait-on ces femmes ? Qu’en
faisait-on ?
« Vous me
demandez, dans un paragraphe de votre lettre, ce que nous faisons des femmes
que nous prenons. On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées
contre des chevaux, et le reste est vendu à l’enchère comme bêtes de
somme. » (Lettre datée de
Mascara, 31 mars 1842.)
« Apportez des
têtes, des têtes ! Bouchez les conduits crevés avec la tête du premier
Bédouin que vous rencontrerez. »
(Harangue citée par
le baron Pichon : Alger sous la domination française, p.109.)
Voici maintenant
que le témoignage d’un quatrième officier de l’armée d’Afrique, parti en
Algérie, tout frais émoulu de Saint-Cyr, le comte d’Hérisson ; bien que
très patriote, celui-ci, à la différence des précédents, semble avoir été
quelque peu écœuré par ce qu’il vit ; son témoignage est identique.
Voici comment il décrit une colonne à laquelle il
participa :
D’Hérisson :
La Chasse à l’Homme, p. 133 et suivantes :
« II est
vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées paires à paires
sur les prisonniers, amis ou ennemis. » « ... Des cruautés inouïes,
des exécutions froidement ordonnées, froidement exécutées à coups de fusil, à
coups de sabre, sur des malheureux dont le plus grand crime était quelquefois
de nous avoir indiqué des silos vides. »
« Les villages que nous avons rencontrés,
abandonnés par leurs habitants, ont été brûlés et saccagés ; ... on a
coupé leurs palmiers, leurs abricotiers parce que les propriétaires n’avaient
pas eu la force nécessaire pour résister à leurs émirs et lui fermer un passage
ouvert à tout le monde chez ces tribus nomades. Toutes ces barbaries ont été
commises sans tirer un coup de fusil, car les populations s’enfuyaient devant
nous, chassant leurs troupeaux et leurs femmes, délaissant leurs
villages. »
Cette colonne était
commandée par le général Yusuf. Sur ce même général, le même auteur rappelle le
fait suivant, si militaire (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.)
« En 1857, le maréchal Randon, que les lauriers
de Saint-Arnaud empêchaient de dormir, monte à l’assaut de la Kabylie pour
exercer ses 25 000 hommes et y recommencer les incendies de ses prédécesseurs.
C’est dans cette expédition qu’on vient dire au général Yussuf :
"Encore une tribu, mon général, qui en a assez et qui demande l’aman (le
pardon)." - Non, répondit Yussuf, il y a là, sur notre gauche, ce brave
colonel qui n’a encore rien eu. Laissons-lui cette tribu à éreinter ; cela
lui fera un bulletin ; on donnera ensuite l’aman »
A cette époque,
Napoléons III avait eu beau venir en Algérie assurer les Arabes de sa
sympathie : « Les oreilles
indigènes valurent longtemps encore 10 francs la paire, et leurs femmes
demeurèrent, comme aux, d’ailleurs, un gibier parfait »
(D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.) :
Si le général Yusuf
faisait couper les oreilles, le colonel de Montagnac, déjà cité, qui, lui, est
un Français, fils, petit-fils, arrière petit-fils de soldat, et qui devait
devenir le « héros » de Sidi-Brahim, préfère la méthode qui consiste
à faire couper les têtes ( De Montagnac : Lettres d’un soldat, p. 297 et
299.)
« Je lui fis
couper la tête et le poignet gauche (il s’agit d’un marabout de la province de
Constantine) et j’arrivai au camp avec sa tête piquée au bout d’une baïonnette
et son poignet accroché à la baguette d’un fusil. On les envoya au général Baraguay
d’Hilliers qui campait près de là, et qui fut enchanté, comme tu le
penses... »
« On ne se
fait pas l’idée de l’effet que produit sur les Arabes une décollation de la
main des chrétiens... Il y a déjà pas mal de temps que j’ai compris cela, et je
t’assure qu’il ne m’en sort guère d’entre les griffes qui n’aient subi la douce
opération. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos philanthropes.
Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par
moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils recevront une
volée de coups de plat de sabre... Quant à l’opération de la décollation, cela
se passe coram populo. »
Le massacre par « erreur »
« Frappez, frappez toujours ! Dieu
reconnaîtra les siens ! » Vieux précepte que les représentants
de la bourgeoisie française en Algérie ne manquèrent pas d’appliquer.
L’important était de tuer ; qu’on tue amis ou ennemis, innocents ou
coupables, cela n’avait guère d’importance. Péra a déjà raconté aux lecteurs de
la Révolution prolétarienne ( R.P. du 1er mars
1928 : L’insurrection algérienne de 1871.) comment, en 1871, un
détachement français rencontrant un groupe d’indigène, s’en empara et mit tout
le monde à mort sans autre forme de procès, sur la simple supposition que ces
indigènes avaient participé à l’affaire de Palestre, ce qui fut reconnu entièrement
faux, dès qu’on eut fait le moindre brin d’enquête.
Voici deux autres
faits du même ordre, mais d’une envergure plus grande encore, et dont la
responsabilité remonte beaucoup plus haut.
Au printemps de
1832, des envoyés d’une tribu du Sud avaient été dépouillés par des maraudeurs,
à quelque distance d’Alger ; le fait s’était passé sur le territoire où
était campée la tribu des El-Ouffia ; alors :
« En vertu des instructions du général en chef de
Rovigo, un corps de troupe sorti d’Alger, pendant la nuit du 6 avril 1832,
surprit au point du jours la tribu endormie sous ses tentes, et égorgea tous
les malheureux El-Ouffia sans qu’un seul chercha même à se défendre. Tout ce
qui vivait fut voué à la mort ; on ne fit aucune distinction d’âge ni de
sexe. Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes
au bout des lances. » (Christian : L’Afrique française, p. 143.) :
« Tout le
bétail fut vendu à l’agent consulaire du Danemark. Le reste du butin fut exposé
au marché de la porte Bab-Azoun (à Alger). On y voyait des bracelets de femme
qui entouraient encore des poignets coupés, et des boucles d’oreilles pendant à
des lambeaux de chair. Le produit des ventes fut partagé entre les égorgeurs.
« Dans l’ordre du jour du 8 avril, qui
atteignit les dernières limites de l’infamie, le général en chef eut
l’impudence de féliciter les troupes de l’ardeur et de l’intelligence qu’elles
avaient déployées. Le soir de cette journée à jamais néfaste, la police ordonna
aux Maures d’Alger d’illuminer leurs boutiques, en signe de
réjouissance. » (Dieuzalde : Histoire de l’Algérie, tome I, p. 289.) :
"Or, quelques jours après, ont sut que cette
tribu n’avait été pour rien dans la mésaventure arrivée aux envoyés du Sud,
ceux-ci ayant été victimes d’hommes appartenant à la tribu toute différente des
Krechnas. Ce qui n’empêcha pas, bien que l’innocence des El-Ouffia fût déjà
connue, de condamner à mort le cheik des El-Ouffia, qu’on avait soigneusement
épargné lors du massacre et de l’exécuter, ainsi qu’un autre notable aussi
innocent que lui." (Baron Pichon : Alger sous la domination
française, p. 186.) :
L’auteur de ces
assassinats, le général en chef duc de Rovigo, a maintenant son village, un
village de colonisation portant son nom, à quelques kilomètres du lieu où
furent assassinés les El-Ouffia ! A Bône, le futur général Yusuf, alors
capitaine, opérait pareillement. Voici ce qu’en disent les notes du baron
Pichon, alors intendant civil de l’Algérie :
« Le
7 mai 1832, des Arabes d’une tribu inconnue vinrent, sous les murs de la
ville, s’emparer de quelques bœufs. Le capitaine Yusuf décida que les
maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharejas ; le même soir il partit
avec les Turcs, fut s’embusquer de nuit dans les environs, et lorsque le jour
commençait à paraître, il massacra femmes, enfants et vieillards. Une réflexion
bien triste suivit cette victoire, lorsqu’on apprit que cette même tribu était
la seule qui, depuis notre occupation de Bône, approvisionnait notre
marché. » (Christian :
L’Afrique française, pp. 148 et 149.) :
Prince de la
Moskova, Discours à la Chambre des Pairs, à propos de la guerre en Algérie, :
« Meurtre
consommé avec préméditation sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans
défense »
Le massacre est
toujours le massacre, mais certaines circonstances ajoutent encore à son
horreur.
La région du Dahra,
à mi-chemin entre Alger et Oran, présente la particularité de posséder, en
plusieurs points, d’immenses grottes pouvant contenir plusieurs centaines de
personnes. De temps immémoriaux, ces grottes servaient de refuge aux tribus de
la contrée, refuge qui avait toujours été respecté, les hommes réfugiés là
n’étaient plus à craindre ; de ce fait là ils s’avouaient vaincus ;
jamais tribu « barbare », jamais « sectateurs de Mahomet »
n’avaient eut l’idée d’y massacrer. L’armée de la bourgeoisie française allait
rompre avec cette tradition.
En un an, sur trois points différents, trois colonels
français, Cavaignac, Pélissier, Saint-Arnaud, firent périr trois tribus
réfugiées dans des grottes en les brûlant et les asphyxiant vives. Trois tribus
complètes : hommes, femmes, enfants.
De ces trois
« enfumades », la plus connue, longtemps la seule connue, est la
seconde, celle commise par Pélissier, parce qu’elle donna lieu à une
interpellation du prince de la Moskowa, le fils de Ney, à la Chambre des Pairs.
Le 19 juin
1845, la tribu des Oued-Riah, chassée de ses villages par l’une de ces colonnes
incendiaires dont nous avons vu la description chez Saint-Arnaud, se réfugie
dans les grottes, toute la tribu, troupeaux compris. La colonne commandée par
Pélissier l’y poursuit et la somme de sortir. Celle-ci accepte : elle est
même prête à verser comme rançon une importante somme d’argent, mais elle ne
veut pas, lorsqu’elle sortira, être massacrée ; elle pose donc une seule
condition : que les troupes françaises se retirent.
Pélissier refuse.
Puis, à trois heures de l’après-midi, il fait allumer, à chaque entrée des
grottes, de vastes feux, qu’on alimentera et attisera sans répit tout le
restant de la journée et toute la nuit, jusqu’à une heure avant le lever du
jour.
Au matin, on entre.
Un soldat a donné, dans une lettre, le récit de ce
qu’il vit la nuit et le matin :
« Quelle plume saurait rendre ce tableau ?
Voir au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de troupes français
occupé à entretenir un feu infernal ! Entendre les sourds gémissements des
hommes, des femmes, des enfants et des animaux ; le craquement des rochers
calcinés s’écroulant, et les continuelles détonations des armes ! Dans
cette nuit, il y eut une terrible lutte d’hommes et d’animaux !
« Le matin, quand on chercha à dégager l’entrée
des cavernes, un hideux spectacle frappa des yeux les assaillants.
« J’ai visité les trois grottes, voici ce que j’y
ai vu :
« A l’entrée, gisaient des bœufs, des ânes, des
moutons ; leur instinct les avait conduits à l’ouverture de la grotte pour
respirer l’air qui manquait à l’intérieur. Parmi ces animaux, et entassés sous
eux, on trouvait des hommes, des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort,
le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une
femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le
reconnaître, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au
moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal.
« Les grottes sont immenses ; on a compté
760 cadavres ; une soixantaine d’individus seulement sont sortis, aux
trois quart morts ; quarante n’ont pu survivre ; dix sont à
l’ambulance, dangereusement malades ; les dix derniers, qui peuvent se
traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs tribus ;
ils n’ont plus qu’à pleurer sur des ruines. » (Christian,
L’Afrique française, p. 142.) :
Crime de soudard subalterne ?
Non !
Pélissier, qui en a porté jusqu’ici la responsabilité devant l’histoire, n’a
été qu’un exécutant. La responsabilité remontait plus haut ; elle remonte
directement au plus haut représentant de la France en Algérie, à celui qui,
pendant sept années, fut, au nom de « la France », le maître à peu
près absolu de l’Algérie, le gouverneur général Bugeaud, duc d’Isly ;
celui-ci avait en effet envoyé à Pélissier l’ordre suivant (Revue hebdomadaire,
juillet 1911, article du général Derrécagaix)
« Orléansville,
11 juin 1845
« Si ces
gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards.
« Duc d’Isly »
« Imitez Cavaignac » ordonnait Bugeaud.
En effet, l’année
précédente, Cavaignac, futur gouverneur général de la République en Algérie,
futur emprisonné du 2 décembre, avait, lui aussi, le premier, enfumé « comme des renards » des
Sbéhas réfugiés dans des grottes, « tribu vaincu », « tribu sans
défense ».
Et deux mois après
Pélissier, le 12 août 1845, Saint-Arnaud à son tour, près de Ténès,
transformait d’autres grottes en « un
vaste cimetière » ; « 500 brigands » y furent enterrés.
Le seul résultat de l’interpellation à la Chambre des Pairs fut que
Saint-Arnaud tint, à la différence de Pélissier, soigneusement caché son
exploit : « personne n’est
descendu dans les cavernes ; personne... que moi... Un rapport
confidentiel a tout dit au maréchal (Bugeaud), simplement, sans poésie terrible
ni images. » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome II, p. 37.)
Ainsi, depuis le
républicain Cavaignac, jusqu’aux futurs bonapartistes Pélissier et
Saint-Arnaud, en passant par le monarchiste Bugeaud, les hommes les plus
représentatifs de tous les clans de la bourgeoisie française ont trempé
directement dans ces actes où culminent les deux caractères dominants de la
conquête de l’Algérie : la lâcheté et la férocité.
L’honneur kabyle
Devant cette
barbarie, on se sent poussé à rechercher quelques gestes qui fassent exception,
quelques gestes de générosité, quelques gestes d’honneur.
On les trouve.
Mais on les trouve
de l’autre côté de la barricade ; on les trouve chez les
« barbares », chez ceux qui étaient en état de légitime défense, chez
ceux qui étaient à la fois les plus faibles et les moins
« civilisés ».
Un seul acte de
cruauté a pu être reproché à Abd el-Kader, commis non pas par lui, mais par un
de ses lieutenants.
Le 24 avril
1846, un an à peine avant la reddition d’Abd el Kader, alors que celui-ci était
aux abois, qu’il n’avait plus rien à donner à manger aux prisonniers, ni même
suffisamment d’hommes pour les garder, alors qu’Abd el Kader avait écrit
lettres sur lettres pour négocier l’échange des prisonniers et qu’on ne lui
avait répondu qu’en jetant en prison celui qu’il avait envoyé pour traiter de
cet échange, et alors qu’il était personnellement à plusieurs centaines de
kilomètres du lieu où étaient gardés les prisonniers, l’un des deux khalifas
chargé de leur garde, Mustapha ben Thamin, ne pouvant plus nourrir les
prisonniers (l’autre voulant, au contraire, les relâcher), les fit tuer
(Colonel Paul Azan : L’Emir Abd el Kader, p. 221 et suivantes, et aussi
p.295..)
C’était la réplique
aux enfumades du Dahra. Mais, jusque-là, durant quinze années pendant lesquelles
il s’opposa à la France, la manière dont Abd el Kader avait traité les
prisonniers avait toujours été empreinte de la plus grande générosité ; il
les échangeait quand il le pouvait ; sinon, il les libérait sans condition
le jour où il ne pouvait plus les nourrir. Nos soudards en étaient tout
éberlués :
« Abd el
Kader, écrit Saint-Arnaud, le 14 mai 1842, nous a renvoyé sans condition,
sans échange, tous nos prisonniers. Il leur a dit : "Je n’ai plus de
quoi vous nourrir, je ne veux pas vous tuer, je vous renvoie". Le trait est beau
pour un barbare » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, p. 385.)
Abd el Kader |
Saint-Arnaud,
évidemment, n’en aurait point fait autant.
Combien d’Arabes
prisonniers des Français en auraient pu dire autant ?
Mais ceux dont
l’attitude marqua l’antithèse la plus frappante avec la manière dont la
bourgeoisie comprend la guerre, furent les Kabyles.
Les Kabyles sont des guerriers. Ils sont
traditionnellement habitués à se battre pour l’honneur, non pour le butin ou la
conquête.
Lorsqu’un dommage avait été causé à un habitant d’un
village par un habitant d’un autre village, on vengeait l’honneur par un
combat, mais combat qui ne se terminait jamais par l’expropriation des vaincus.
De telles guerres étaient donc aussi différentes d’une expédition coloniale que
d’un duel l’est d’un assassinat.
Ces guerres, dès
lors, étaient soumises, tout comme l’est le duel, à des règles, à un véritable
Code d’honneur. Ce code, les Kabyles continuèrent à l’appliquer, même contre
leurs envahisseurs.
C’est ainsi que lors du soulèvement de 1871, les
Kabyles prévinrent les colons avant de les attaquer (Rinn :
L’insurrection de 1871 en Algérie, p. 203.). Et ceux des colons qui, au lieu de partir ou de résister, se mirent
sous la protection d’un kabyle, sous son « anaia », purent vivre en
pleine sécurité durant toute l’insurrection, en plein pays insurgé.
Ce fut notamment le
cas de 39 habitants de Bordj Menaïel, auxquels le marabout Si Moussa ben Ahmed
avait proposé lui-même de se mettre sous son « anaia » ; ce fut
également le cas du maire de Bordj Menaïel qui alla se mettre sous la
protection des habitants du douar Rouaffa ; et aussi le cas de 30
voyageurs de la diligence de Dellys qui, sur le conseil de l’amine Omar
Benzaman allèrent se réfugier dans le caravansérail, et sous la protection
d’Azib Zamoun
(Rinn :
L’insurrection de 1871 en Algérie, pp. 243 et 245.)
Ce qui n’empêcha
pas le gouvernement de la République de commettre à l’égard des insurgés
kabyles la même monstruosité que celle qu’il commettait, au même moment, à
l’égard des insurgés parisiens : faire poursuivre, condamner et exécuter
les chefs de l’insurrection comme coupables de crimes de droit commun !
Comme Ferré, Boumezrag, frère de Mokrani et successeur de celui-ci à la tête de
l’insurrection, fut condamné à mort pour pillage et assassinat ! Thiers ne
se contentait pas de tuer ; en Afrique comme à Paris, il lui fallait
déshonorer.
Expropriation et déculturation,
les deux mamelles de la colonisation
Général de
Bourmont, 5 juillet 1830 :
« La liberté des habitants de toutes les
classes, leur religion, leurs propriétés, leur industrie ne recevront aucune
atteinte... Le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur. »
L’’honneur du
général en chef ne dura que le temps de sa déclaration !
L’expropriation des
indigènes, la réduction des indigènes à l’état de prolétaires, de producteurs
travaillant pour la plus-value sur les terres que jusque-là ils cultivaient
librement, tel est le but de toute conquête coloniale ; tel fut le but de
la conquête de l’Algérie.
La commission parlementaire dont Alexis de Tocqueville était
le rapporteur était composée de dix-huit membres. Seuls deux d’entre eux,
Desjobert et Tracy, très minoritaires, n’étaient pas favorables à la
colonisation. Tocqueville fait état de leur opposition :
« Le pays qu’il s’agit de coloniser, ont-ils dit, n’est pas
vide ou peuplé seulement de chasseurs, comme certaines parties du Nouveau
Monde; il est déjà occupé, possédé et cultivé par une population agricole et
souvent même sédentaire. Introduire dans un tel pays une population nouvelle,
c’est y éterniser la guerre et y préparer la destruction inévitable des races
indigènes. »
La France a tout
fait pour rendre la population analphabète, les centaines de madrassa ou on y
apprenait à lire, écrire en arabe ont été détruites. Les arrière-grand-pères
savaient lire et écrire arabe ce qui n'a pas été le cas de leur descendance.
On peut trouver un arrière-grand père né il y a plus de 150 ans, enseignant dans son village, et ses petits-fils analphabètes. La destruction des lieux d’enseignement, de l’école primaire à l’université, faisait partie intégrante des objectifs des colonisateurs, affaiblir les algériens en les rendant analphabètes pour longtemps, peut-être la pire des armes de destruction massive …
On peut trouver un arrière-grand père né il y a plus de 150 ans, enseignant dans son village, et ses petits-fils analphabètes. La destruction des lieux d’enseignement, de l’école primaire à l’université, faisait partie intégrante des objectifs des colonisateurs, affaiblir les algériens en les rendant analphabètes pour longtemps, peut-être la pire des armes de destruction massive …
En guise de
conclusion…et d’aveu
Le comte Le Hon,
rapporteur
de la commission d’enquête de 1869, reconnaît :
« C’est le régime
auquel les indigènes sont soumis qui les faits périr. »