mercredi 14 février 2018

1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter





Commission française d’enquête parlementaire,1833:
En 1830, tous les Algériens savaient 
lire, écrire et compter,
« et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus »
Maréchal Bugeaud:
 Fumez-les [les Arabes]  à  outrance, 
comme des renards 

Invasion et occupation 
de l’Algérie par la France
1830-1871

                                                           Pour Zora 
par Alain Vidal

 
Bibliothèque nationale de France


Michel Habart, au travers d’un considérable travail d’archives, est l’auteur de « Histoire d’un parjure » publié par les éditions de Minuit en 1960. 
La quasi-totalité des citations proviennent d’ouvrages et de documents consultables par internet sur le site GallicaGallica est la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale française En libre-accès, elle regroupe des livres numérisés, des cartulaires, des revues...

Les témoignages sont formels, en 1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter, « et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus » rapporte  la Commission d’enquête parlementaire de 1833. 
Les Algériens sont beaucoup plus cultivés qu’on ne croit, note Campbell en 1835 :
 « A notre arrivée, il y avait plus de cent écoles primaires à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen. Alger et Constantine avaient chacune six à sept collèges secondaires, et l’Algérie était dotée de dix zaouia (universités).
Chaque village ou groupe d’habitants avait son école. Notre occupation leur porta un coup irréparable. »
Et « Mgr Dupuch nous répond, en déplorant qu’en 1840 il n’ait trouvé que deux ou trois instituteurs pour toute la province d’Alger. En 1880, on ne trouvait encore que treize (je dis bien treize) écoles franco-arabes pour toute l’Algérie. »



Le grand orientaliste George Marcais :
 « Nous avons gaspillé l’héritage musulman à plaisir. » 



En 1929,  George Marcais  prend la direction du Musée des Antiquités et de l'Art Musulman d'Alger et en 1935 intègre l'Institut d'Études Orientales comme directeur. Georges Marçais a doté l'histoire de l'art et des civilisations du Maghreb d'études exceptionnelles.
Alexis de Tocqueville,
Alexis de Tocqueville, chargé du rapport concernant les travaux parlementaires sur l’Algérie :
 « Ce qu’il faut, c’est donner des livres à ce peuple curieux et intelligent. Ils savent tous lire. Et ils ont cette finesse et cette aptitude à comprendre qui les rend si supérieurs à nos paysans de France. »
A la commission d’enquête qui lui demande ce qui manque le plus aux Maures d’Algérie, un dignitaire algérien, Boudaba, répondra : 
« Des journaux ».
Et le Général Pélissier, pourtant gouverneur général de l'Algérie, affirme qu’avant l’arrivée de l’armée française :
« Alger était peut-être la ville du monde où la police était la mieux faite… Avec nous, les vols, naguères presqu’inconnus, se multiplient dans des proportions effrayantes. »
Dans le rapport Valazé, en 1830, il est dit :
« Le pays nous paraît riche, cultivé, couvert de bestiaux, de maisons et de jardins soignés. Il est difficile de se figurer les milliers de maisons de campagne qui couvrent ce beau pays. C’est un coup d’oeil qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, sauf dans les environs de Marseille, beaucoup moins étendus, agréables et fertiles. »
Mais changement de ton avec Clauzel, général en chef des troupes d'Algérie, arrivé à Alger en 1830, et qui déclare ses intentions ouvertement génocidaires:
« Les avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races indigènes avaient disparu, et si nous pouvions jouir de notre conquête en sécurité, condition première de toute colonisation. Ce but atteint, il sera bon de voir ce que font les Anglais de leurs colonies… Colonisons, colonisons! A nous la Mitidja! A nous la plaine! Toutes ces terres sont de première qualité. A nous seuls! Car pas de fusion possible avec les Arabes! ». 
(dans L’Afrique française, 1840)
Fait rarissime, le comte Le Hon, rapporteur de la commission d’enquête en 1869, n’hésite pas à accuser  :
« Pourquoi les Arabes dépérissent ? Tant que rien n’a été changé à la constitution des Arabes, ils ont pu, par les produits de la terre, subvenir à leurs besoins… Ce peuple étant devenu un peuple de khamès sans terre et sans silos, les hommes, femmes et enfants sont allés mourir de faim autour des centres de colonisation. Ils sont morts sans se plaindre. »

« Cent ans de capitalisme en Algérie »,
de  Robert Louzon, mai 1930,
(extraits)

La légende du coup de l’éventail
« En 1794, la France était attaquée de tous côtés. Non seulement son territoire était envahi sur plusieurs points, mais son peuple et son armée risquaient d’être affamés. Ne produisant pas assez pour subvenir à ses besoins, elle ne trouvait nulle part où acheter le complément de grains qui lui était nécessaire. Nulle part… sauf en Algérie, dont le dey offrit à la Convention toutes facilités pour faire ses achats de blé.
Deux ans plus tard, le Directoire a succédé à la Convention, mais la guerre n’en continue pas moins, et l’Angleterre continue à poursuivre son plan d’affamer les armées de la République ; en outre… le Trésor est vide, ou presque. Le dey d’Alger offre alors au gouvernement français de lui prêter un million, sans intérêts, pour les achats de blé que celui-ci aurait à effectuer en Algérie. Le gouvernement français accepte.
Les achats de blé ainsi effectués dépassent de beaucoup le million prêté ; la France ne les paie pourtant point. Qu’importe !
Le dey d’Alger, lui, se contenta de demander des explications. Il les demanda par écrit au gouvernement français, et comme celui-ci ne répondait pas, il les demanda verbalement au consul de France…Dans ces conditions, quand on n’a pas d’explications valables à fournir, il n’est qu’une ressource : c’est le prendre de haut. C’est ce que fit Deval. Alors, furieux, le dey s’emporta, injuria, et finalement donna au « représentant de la France » un coup de son chasse-mouche.
On tenait le prétexte !
Le gouvernement français, convaincu de mauvaise foi, allait châtier le dey coupable d’avoir « injurié la France ». Car l’« honneur de la France » ne consistait pas à payer ses dettes le plus vite possible, l’« honneur de la France » ne consistait pas à respecter la parole donnée ; l’« honneur de la France » consistait à frapper celui qui lui reprochait ses actes déshonorants…Il n’est pas un manuel d’histoire élémentaire qui ne contienne quelques illustrations du dey frappant le « représentant de la France», mais ce n’est que dans quelques rares livres, tirés à un petit nombre d’exemplaires, et enfouis dans les bibliothèques, qu’on peut trouver des renseignements sur les raisons pour lesquelles le dey était, ce jour-là, si fort en colère. »
Et le 14 juin 1830, les troupes françaises débarquèrent à Sidi Ferruch, plage de sable située à une vingtaine de kilomètres d’Alger. Quelques jours après, Alger attaqué à revers, tombait ; le 5 juillet, le dey capitulait. Le « coup d’éventail » était donc « vengé » ; le blé que le dey avait fourni à la France n’aurait plus à lui être payé, ni les fortifications de la Calle à être démolies.
Il restait à conquérir l’Algérie.
Cela allait demander quarante ans, près d’un demi-siècle.

La conquête coloniale de l’Algérie
par les Français,
quarante années de massacres

De 1830 à 1871, sous cinq régimes différents, depuis la restauration jusqu’à la Troisième République, en passant par Louis-Philippe, la République et l’Empire, la bourgeoisie française va poursuivre la conquête de ce territoire à peine peuplé de cinq millions d’habitants.


Maréchal Bugeaud
Quarante ans de combats, de meurtres et de pillages, quarante ans pendant lesquels, à chaque moment, telle région qu’on avait hier « pacifiée » se soulevait à nouveau et devait être « pacifiée » à nouveau, à coup de « razzia » et de massacres. Quarante ans pour cinq millions d’habitants ! Quarante ans de guerre entre, d’un côté, un peuple dépourvu de toute organisation matérielle moderne, et, de l’autre côté, l’armée française, alors, sans conteste, la première armée d’Europe, l’armée qui était, hier, celle de Napoléon et qui sera encore celle de Sébastopol et de Magenta.
La conquête de l’Algérie ne s’est pas effectuée, comme on pourrait le croire, progressivement du Nord au Sud, par tranches successives partant du littoral et finissant aux confins sahariens. Tout au contraire, les régions méridionales, Hauts-Plateaux et zone saharienne, on été plus facilement conquises et les premières « pacifiées » ; c’est la région la plus proche du littoral, le Tell, cet ensemble montagneux qui sépare la mer des Hauts-Plateaux, qui a offert le plus de résistance et n’a été occupé, réellement qu’en dernier lieu.
Le centre de la première grande résistance à laquelle se heurte la conquête française, celle que va personnifier pendant onze ans le marabout Abd el Kader, c’est le Tell du centre et de l’ouest. Les villes d’Abd el-Kader, Mascara, Boghar, etc., sont en plein Atlas tellien, et le dernier massif d’où Abd el-Kader conduira ses dernières grandes luttes sera celui de l’Ouarsenis, qui commence à 50 kilomètres de la mer. Après la chute d’Abd el Kader, le dernier bastion de la résistance sera la Kabylie, Tell de l’est. La grande Kabylie, qui borde la mer, et qui est à moins de cent kilomètres d’Alger, ne sera occupée pour la première fois en 1857, et définitivement qu’après 71, alors que les oasis de Biskra et de Laghouat, en bordure du Sahara, à 400 kilomètres de la mer, seront conquises, la première dès 1844, et la seconde définitivement, en 1852.
La raison en est que les Hauts-Plateaux, le Sahara, et même l’Atlas saharien, vieille montagne qui n’est plus guère constituée que de légères ondulations coupées de larges couloirs, ne sont que des plaines. Le Tell, au contraire, c’est la montagne. La plaine, assez peu peuplée d’ailleurs, et peuplée presque exclusivement d’Arabes plus ou moins nomades, n’a pas pu résister ; c’est la montagne qui a résisté, la montagne qui, en Algérie, est plus peuplée que la plaine, peuplée de paysans cultivateurs, la plupart de langue berbère. Cela est conforme à la règle de toujours et de partout : c’est toujours la montagne qui résiste au conquérant ; la montagne est partout le dernier asile de l’indépendance. Ce massif kabyle qui résista le dernier à la conquête française, est celui qui avait aussi le mieux résisté à la conquête arabe, puisque s’il a accepté la religion de l’Islam, il a gardé sa langue et son Droit.
Ce que fut cette guerre ? Une guerre atroce qui n’eut de la guerre que le nom, j’entends de la véritable guerre, celle que justifie Proudhon dans La Guerre et la Paix, c’est-à-dire un combat loyal entre adversaires de force équivalente. Ce ne fut pas une guerre, ce fut une « expédition coloniale », une expédition coloniale de quarante années. Une expédition coloniale ça ne se raconte pas, et on n’ose la décrire ; on laisse Mrs les assassins la décrire eux-mêmes « La flamme à la main ! »
Saint-Arnaud, qui devait finir maréchal de France, fit, jusqu’au 2 décembre, à peu près toute sa carrière en Algérie. Il y était arrivé lieutenant en 1837 ; il en partit général de division en 1851 ; durant ces quinze années il ne cessa d’être en colonne, tantôt à l’ouest, tantôt à l’est ; pendant tout ce temps il écrivit régulièrement à son frère, le tenant presque jour par jour au courant de ses faits et gestes. Ces lettres ont été publiées. Nous en donnons ci-dessous des extraits, sans autre commentaire que l’indication de la date et du lieu.
On trouvera les lettres dont sont extraites les citations ci-dessous dans Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, pages 141, 313, 325, 379,381, 390, 392, 1472, 474, 549, 556, tome II, pages 83, 331, 340 :

« Le pillage exercé d’abord par les soldats, s’étendit ensuite aux officiers, et quand on évacua Constantine, il s’est trouvé comme toujours, que la part la plus riche et la plus abondante était échouée à la tète de l’armée et aux officiers de l’état-major. » (Prise de Constantine, octobre 1837.)
« Nous resterons jusqu’à la fin de juin à nous battre dans la province d’Oran, et à y ruiner toutes les villes, toutes les possessions de l’émir. Partout, il trouvera l’armée française, la flamme à la main. » (Mai 1841.)
« Mascara, ainsi que je l’ai déjà dit, a dû être une ville belle et importante. Brulée en partie et saccagée par le maréchal Clauzel en 1855. »
« Nous sommes dans le centre des montagnes entre Miliana et Cherchell. Nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes. L’ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux » (avril 1842)
« Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique. Les villages et les habitants sont très rapprochés. Nous avons tout brûlé, tout détruit. Oh la guerre, la guerre ! Que de femmes et d’enfants, réfugiés dans les neiges de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère !... Il n’y a pas dans l’armée cinq tués et quarante blessés. » (Région de Cherchell, avril 1842)
« Deux belles armées... se donnant la main fraternellement au milieu de l’Afrique, l’une partie de Mostaganem le 14, l’autre de Blidah le 22 mai, rasant, brûlant, chassant tout devant elles. » (mai 1842, de Mostaganem à Blidah il y a 250 kilomètres.)
« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. Des combats : peu ou pas. » (Région de Miliana, juin 1842)
« ... Entouré d’un horizon de flammes et de fumées qui me rappellent un petit Palatinat en miniature, je pense à vous tous et je t’écris. Tu m’as laissé chez les Brazes, je les ai brûlés et dévastés. Me voici chez les Sindgad, même répétition en grand, c’est un vrai grenier d’abondance... Quelques-uns sont venus pour m’amener le cheval de soumission. Je l’ai refusé parce que je voulais une soumission générale, et j’ai commencé à brûler. » (Ouarsenis, Octobre 1842)
« Le lendemain 4, je descendais à Haimda, je brûlais tout sur mon passage et détruisais ce beau village...Il était deux heures, le gouverneur (Bugeaud) était parti. Les feux qui brûlaient encore dans la montagne, m’indiquaient la marche de la colonne. » (Région de Miliana, février 1843.)
« Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit ! C’était la malheureuse population des Beni-Naâsseur, c’étaient ceux dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. » (Région de Miliana, février 1843.)
« Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre !... je brûle aujourd’hui les propriétés et les villages de Ben-Salem et de Bel-Cassem-ou-Kassi. » (Région de Bougie, 2 octobre 1844.)
Saint-Arnaud

« J’ai brûlé plus de dix villages magnifiques. » (Kabylie, 28 octobre 1844.)
« II y avait encore des groupes nombreux d’ennemis sur les pitons, j’espérais un second combat. Ils ne sont pas descendus et j’ai commencé à couper de beaux vergers et à brûler de superbes villages sous les yeux de l’ennemi. » (Dahra, mars 1846.)
« J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. » (Petite Kabylie, mai 1851.)
« Nous leur avons fait bien du mal, brûlé plus de cent maisons couvertes en tuile, coupé plus de mille oliviers. » (Petite Kabylie, juin 1851.)
Tel est le témoignage de Saint-Arnaud. Témoignage décisif, mais qui est loin d’être unique. Tous les officiers d’Afrique, qui ont écrit ce qu’ils ont vu, disent la même chose.

Massacre des enfants et vente des femmes
Officier d’Afrique non moins typique que Saint-Arnaud, ce colonel Pein, issu du rang qui resta vingt-trois ans en Algérie (de 1840 à 1863), et qui occupa les loisirs de sa retraite à composer un petit ouvrage sur l’Afrique. A la différence de Saint-Arnaud, ce fut surtout dans le Sud qu’il eut à opérer.
Voici comment il décrit la prise de Laghouat, à laquelle il assista (2 décembre 1852.) :
« Le carnage fut affreux ; les habitations, les tentes des étrangers dressées sur les places, les rues, les cours furent jonchées de cadavres. Une statistique faite à tête reposée et d’après les meilleurs renseignements, après la prise, constate le chiffre de 2 300 hommes, femmes ou enfants tués ; mais le chiffre de blessés fut insignifiant, cela se conçoit. Les soldats, furieux d’être canardés par une lucarne, une porte entrebâillée, un trou de la terrasse, se ruaient dans l’intérieur et y lardaient impitoyablement tout ce qui s’y trouvait ; vous comprenez que, dans le désordre, souvent dans l’ombre, ils ne s’attardaient pas à établir de distinction d’âge ni de sexe : ils frappaient partout et sans crier gare ! » (Pein, Lettres familières sur l’Algérie, 2e édit, p. 393).
C’est tellement l’habitude de massacrer femmes et enfants qu’une fois que le colonel Pein ne put le faire, il éprouva le besoin de s’en excuser dans une lettre :
« Les Ouled Saad avaient abandonné femmes et enfants dans les buissons, j’aurais pu en faire un massacre, mais nous n’étions pas assez nombreux pour nous amuser aux bagatelles de la porte : il fallait garder une position avantageuse et décrocher ceux qui tiraient sur nous. »
(Pein, Lettres familières sur l’Algérie, 2e édit., p. 26.)
Ainsi, si les femmes et les enfants des Ouled Saad n’ont pas été « massacrés », c’est uniquement pour raison stratégique ! Si on avait été plus nombreux, toutes et tous y auraient passé, on se serait « amusé aux bagatelles de la porte ! »
Certains généraux cependant préféraient qu’on ne massacre pas les femmes, mais qu’on s’en empare...et qu’on les vendent. Telle était la méthode préférée de Lamoricière.
Dans les lettres qu’il écrivait à sa famille, l’un des subordonnés de Lamoricière, le colonel de Montagnac, décrit ainsi le système


Colonel de Montagnac,

De Montagnac, Lettres d’un soldat, p. 141,142,195,203,311, 225. :
« Vive Lamoricière ! Voilà ce qui s’appelle mener la chasse avec intelligence et bonheur !... Ce jeune général qu’aucune difficulté n’arrête, qui franchit les espaces en un rien de temps, va dénicher les Arabes dans leurs repaires, à vingt-cinq lieues à la ronde, leur prend tout ce qu’ils possèdent : femmes, enfants, troupeaux, bestiaux, etc. » (1er février 1841).
Dans la région de Mascara, le 17 janvier 1842 :
« Nous poursuivons l’ennemi, nous lui enlevons femmes, enfants, bestiaux, blé, orge, etc. »
Le 11 février 1842 :
« Pendant que nous rasons de ce côté, le général Bedeau, autre perruquier de première qualité, châtie une tribu des bords du Chélif... leurs enlève force femmes, enfants et bestiaux... »
Plus tard, étant cette fois en Petite-Kabylie, de Montagnac appliquera à nouveau le système Lamoricière :
« Nous nous sommes établis au centre du pays...brûlant, tuant, saccageant tout... Quelques tribus pourtant résistent encore, mais nous les traquons de tous côtés, pour leur prendre leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux. » (2 mai 1843).
Pourquoi prenait-on ces femmes ? Qu’en faisait-on ?
« Vous me demandez, dans un paragraphe de votre lettre, ce que nous faisons des femmes que nous prenons. On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des chevaux, et le reste est vendu à l’enchère comme bêtes de somme. » (Lettre datée de Mascara, 31 mars 1842.)
« Apportez des têtes, des têtes ! Bouchez les conduits crevés avec la tête du premier Bédouin que vous rencontrerez. »
(Harangue citée par le baron Pichon : Alger sous la domination française, p.109.)
Voici maintenant que le témoignage d’un quatrième officier de l’armée d’Afrique, parti en Algérie, tout frais émoulu de Saint-Cyr, le comte d’Hérisson ; bien que très patriote, celui-ci, à la différence des précédents, semble avoir été quelque peu écœuré par ce qu’il vit ; son témoignage est identique.
Voici comment il décrit une colonne à laquelle il participa :
D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 133 et suivantes :
« II est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées paires à paires sur les prisonniers, amis ou ennemis. » « ... Des cruautés inouïes, des exécutions froidement ordonnées, froidement exécutées à coups de fusil, à coups de sabre, sur des malheureux dont le plus grand crime était quelquefois de nous avoir indiqué des silos vides. »
« Les villages que nous avons rencontrés, abandonnés par leurs habitants, ont été brûlés et saccagés ; ... on a coupé leurs palmiers, leurs abricotiers parce que les propriétaires n’avaient pas eu la force nécessaire pour résister à leurs émirs et lui fermer un passage ouvert à tout le monde chez ces tribus nomades. Toutes ces barbaries ont été commises sans tirer un coup de fusil, car les populations s’enfuyaient devant nous, chassant leurs troupeaux et leurs femmes, délaissant leurs villages. »
Cette colonne était commandée par le général Yusuf. Sur ce même général, le même auteur rappelle le fait suivant, si militaire (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.)
« En 1857, le maréchal Randon, que les lauriers de Saint-Arnaud empêchaient de dormir, monte à l’assaut de la Kabylie pour exercer ses 25 000 hommes et y recommencer les incendies de ses prédécesseurs. C’est dans cette expédition qu’on vient dire au général Yussuf : "Encore une tribu, mon général, qui en a assez et qui demande l’aman (le pardon)." - Non, répondit Yussuf, il y a là, sur notre gauche, ce brave colonel qui n’a encore rien eu. Laissons-lui cette tribu à éreinter ; cela lui fera un bulletin ; on donnera ensuite l’aman »
A cette époque, Napoléons III avait eu beau venir en Algérie assurer les Arabes de sa sympathie : « Les oreilles indigènes valurent longtemps encore 10 francs la paire, et leurs femmes demeurèrent, comme aux, d’ailleurs, un gibier parfait » (D’Hérisson : La Chasse à l’Homme, p. 349.) :
Si le général Yusuf faisait couper les oreilles, le colonel de Montagnac, déjà cité, qui, lui, est un Français, fils, petit-fils, arrière petit-fils de soldat, et qui devait devenir le « héros » de Sidi-Brahim, préfère la méthode qui consiste à faire couper les têtes ( De Montagnac : Lettres d’un soldat, p. 297 et 299.)

« Je lui fis couper la tête et le poignet gauche (il s’agit d’un marabout de la province de Constantine) et j’arrivai au camp avec sa tête piquée au bout d’une baïonnette et son poignet accroché à la baguette d’un fusil. On les envoya au général Baraguay d’Hilliers qui campait près de là, et qui fut enchanté, comme tu le penses... »
« On ne se fait pas l’idée de l’effet que produit sur les Arabes une décollation de la main des chrétiens... Il y a déjà pas mal de temps que j’ai compris cela, et je t’assure qu’il ne m’en sort guère d’entre les griffes qui n’aient subi la douce opération. Qui veut la fin veut les moyens, quoiqu’en disent nos philanthropes. Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat de sabre... Quant à l’opération de la décollation, cela se passe coram populo. »

Le massacre par « erreur »
« Frappez, frappez toujours ! Dieu reconnaîtra les siens ! » Vieux précepte que les représentants de la bourgeoisie française en Algérie ne manquèrent pas d’appliquer. L’important était de tuer ; qu’on tue amis ou ennemis, innocents ou coupables, cela n’avait guère d’importance. Péra a déjà raconté aux lecteurs de la Révolution prolétarienne ( R.P. du 1er mars 1928 : L’insurrection algérienne de 1871.) comment, en 1871, un détachement français rencontrant un groupe d’indigène, s’en empara et mit tout le monde à mort sans autre forme de procès, sur la simple supposition que ces indigènes avaient participé à l’affaire de Palestre, ce qui fut reconnu entièrement faux, dès qu’on eut fait le moindre brin d’enquête.
Voici deux autres faits du même ordre, mais d’une envergure plus grande encore, et dont la responsabilité remonte beaucoup plus haut.
Au printemps de 1832, des envoyés d’une tribu du Sud avaient été dépouillés par des maraudeurs, à quelque distance d’Alger ; le fait s’était passé sur le territoire où était campée la tribu des El-Ouffia ; alors :
« En vertu des instructions du général en chef de Rovigo, un corps de troupe sorti d’Alger, pendant la nuit du 6 avril 1832, surprit au point du jours la tribu endormie sous ses tentes, et égorgea tous les malheureux El-Ouffia sans qu’un seul chercha même à se défendre. Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; on ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe. Au retour de cette honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout des lances. » (Christian : L’Afrique française, p. 143.) :
« Tout le bétail fut vendu à l’agent consulaire du Danemark. Le reste du butin fut exposé au marché de la porte Bab-Azoun (à Alger). On y voyait des bracelets de femme qui entouraient encore des poignets coupés, et des boucles d’oreilles pendant à des lambeaux de chair. Le produit des ventes fut partagé entre les égorgeurs.
« Dans l’ordre du jour du 8 avril, qui atteignit les dernières limites de l’infamie, le général en chef eut l’impudence de féliciter les troupes de l’ardeur et de l’intelligence qu’elles avaient déployées. Le soir de cette journée à jamais néfaste, la police ordonna aux Maures d’Alger d’illuminer leurs boutiques, en signe de réjouissance. » (Dieuzalde : Histoire de l’Algérie, tome I, p. 289.) :
"Or, quelques jours après, ont sut que cette tribu n’avait été pour rien dans la mésaventure arrivée aux envoyés du Sud, ceux-ci ayant été victimes d’hommes appartenant à la tribu toute différente des Krechnas. Ce qui n’empêcha pas, bien que l’innocence des El-Ouffia fût déjà connue, de condamner à mort le cheik des El-Ouffia, qu’on avait soigneusement épargné lors du massacre et de l’exécuter, ainsi qu’un autre notable aussi innocent que lui." (Baron Pichon : Alger sous la domination française, p. 186.) :

L’auteur de ces assassinats, le général en chef duc de Rovigo, a maintenant son village, un village de colonisation portant son nom, à quelques kilomètres du lieu où furent assassinés les El-Ouffia ! A Bône, le futur général Yusuf, alors capitaine, opérait pareillement. Voici ce qu’en disent les notes du baron Pichon, alors intendant civil de l’Algérie :
« Le 7 mai 1832, des Arabes d’une tribu inconnue vinrent, sous les murs de la ville, s’emparer de quelques bœufs. Le capitaine Yusuf décida que les maraudeurs appartenaient à la tribu des Kharejas ; le même soir il partit avec les Turcs, fut s’embusquer de nuit dans les environs, et lorsque le jour commençait à paraître, il massacra femmes, enfants et vieillards. Une réflexion bien triste suivit cette victoire, lorsqu’on apprit que cette même tribu était la seule qui, depuis notre occupation de Bône, approvisionnait notre marché. » (Christian : L’Afrique française, pp. 148 et 149.) :

Prince de la Moskova, Discours à la Chambre des Pairs, à propos de la guerre en Algérie, :
 « Meurtre consommé avec préméditation sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense »
Le massacre est toujours le massacre, mais certaines circonstances ajoutent encore à son horreur.
La région du Dahra, à mi-chemin entre Alger et Oran, présente la particularité de posséder, en plusieurs points, d’immenses grottes pouvant contenir plusieurs centaines de personnes. De temps immémoriaux, ces grottes servaient de refuge aux tribus de la contrée, refuge qui avait toujours été respecté, les hommes réfugiés là n’étaient plus à craindre ; de ce fait là ils s’avouaient vaincus ; jamais tribu « barbare », jamais « sectateurs de Mahomet » n’avaient eut l’idée d’y massacrer. L’armée de la bourgeoisie française allait rompre avec cette tradition.

En un an, sur trois points différents, trois colonels français, Cavaignac, Pélissier, Saint-Arnaud, firent périr trois tribus réfugiées dans des grottes en les brûlant et les asphyxiant vives. Trois tribus complètes : hommes, femmes, enfants.
De ces trois « enfumades », la plus connue, longtemps la seule connue, est la seconde, celle commise par Pélissier, parce qu’elle donna lieu à une interpellation du prince de la Moskowa, le fils de Ney, à la Chambre des Pairs.
Le 19 juin 1845, la tribu des Oued-Riah, chassée de ses villages par l’une de ces colonnes incendiaires dont nous avons vu la description chez Saint-Arnaud, se réfugie dans les grottes, toute la tribu, troupeaux compris. La colonne commandée par Pélissier l’y poursuit et la somme de sortir. Celle-ci accepte : elle est même prête à verser comme rançon une importante somme d’argent, mais elle ne veut pas, lorsqu’elle sortira, être massacrée ; elle pose donc une seule condition : que les troupes françaises se retirent.
Pélissier refuse. Puis, à trois heures de l’après-midi, il fait allumer, à chaque entrée des grottes, de vastes feux, qu’on alimentera et attisera sans répit tout le restant de la journée et toute la nuit, jusqu’à une heure avant le lever du jour.
Au matin, on entre.
Un soldat a donné, dans une lettre, le récit de ce qu’il vit la nuit et le matin :
« Quelle plume saurait rendre ce tableau ? Voir au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de troupes français occupé à entretenir un feu infernal ! Entendre les sourds gémissements des hommes, des femmes, des enfants et des animaux ; le craquement des rochers calcinés s’écroulant, et les continuelles détonations des armes ! Dans cette nuit, il y eut une terrible lutte d’hommes et d’animaux !
« Le matin, quand on chercha à dégager l’entrée des cavernes, un hideux spectacle frappa des yeux les assaillants.

« J’ai visité les trois grottes, voici ce que j’y ai vu :
« A l’entrée, gisaient des bœufs, des ânes, des moutons ; leur instinct les avait conduits à l’ouverture de la grotte pour respirer l’air qui manquait à l’intérieur. Parmi ces animaux, et entassés sous eux, on trouvait des hommes, des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le reconnaître, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal.
« Les grottes sont immenses ; on a compté 760 cadavres ; une soixantaine d’individus seulement sont sortis, aux trois quart morts ; quarante n’ont pu survivre ; dix sont à l’ambulance, dangereusement malades ; les dix derniers, qui peuvent se traîner encore, ont été mis en liberté pour retourner dans leurs tribus ; ils n’ont plus qu’à pleurer sur des ruines. » (Christian, L’Afrique française, p. 142.) :

Crime de soudard subalterne ?

Non ! Pélissier, qui en a porté jusqu’ici la responsabilité devant l’histoire, n’a été qu’un exécutant. La responsabilité remontait plus haut ; elle remonte directement au plus haut représentant de la France en Algérie, à celui qui, pendant sept années, fut, au nom de « la France », le maître à peu près absolu de l’Algérie, le gouverneur général Bugeaud, duc d’Isly ; celui-ci avait en effet envoyé à Pélissier l’ordre suivant (Revue hebdomadaire, juillet 1911, article du général Derrécagaix)
« Orléansville, 11 juin 1845
« Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards.
« Duc d’Isly »
« Imitez Cavaignac » ordonnait Bugeaud.
En effet, l’année précédente, Cavaignac, futur gouverneur général de la République en Algérie, futur emprisonné du 2 décembre, avait, lui aussi, le premier, enfumé « comme des renards » des Sbéhas réfugiés dans des grottes, « tribu vaincu », « tribu sans défense ».
Et deux mois après Pélissier, le 12 août 1845, Saint-Arnaud à son tour, près de Ténès, transformait d’autres grottes en « un vaste cimetière » ; « 500 brigands » y furent enterrés. Le seul résultat de l’interpellation à la Chambre des Pairs fut que Saint-Arnaud tint, à la différence de Pélissier, soigneusement caché son exploit : « personne n’est descendu dans les cavernes ; personne... que moi... Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal (Bugeaud), simplement, sans poésie terrible ni images. » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome II, p. 37.)
Ainsi, depuis le républicain Cavaignac, jusqu’aux futurs bonapartistes Pélissier et Saint-Arnaud, en passant par le monarchiste Bugeaud, les hommes les plus représentatifs de tous les clans de la bourgeoisie française ont trempé directement dans ces actes où culminent les deux caractères dominants de la conquête de l’Algérie : la lâcheté et la férocité.

L’honneur kabyle

Devant cette barbarie, on se sent poussé à rechercher quelques gestes qui fassent exception, quelques gestes de générosité, quelques gestes d’honneur.
On les trouve.
Mais on les trouve de l’autre côté de la barricade ; on les trouve chez les « barbares », chez ceux qui étaient en état de légitime défense, chez ceux qui étaient à la fois les plus faibles et les moins « civilisés ».
Un seul acte de cruauté a pu être reproché à Abd el-Kader, commis non pas par lui, mais par un de ses lieutenants.
Le 24 avril 1846, un an à peine avant la reddition d’Abd el Kader, alors que celui-ci était aux abois, qu’il n’avait plus rien à donner à manger aux prisonniers, ni même suffisamment d’hommes pour les garder, alors qu’Abd el Kader avait écrit lettres sur lettres pour négocier l’échange des prisonniers et qu’on ne lui avait répondu qu’en jetant en prison celui qu’il avait envoyé pour traiter de cet échange, et alors qu’il était personnellement à plusieurs centaines de kilomètres du lieu où étaient gardés les prisonniers, l’un des deux khalifas chargé de leur garde, Mustapha ben Thamin, ne pouvant plus nourrir les prisonniers (l’autre voulant, au contraire, les relâcher), les fit tuer (Colonel Paul Azan : L’Emir Abd el Kader, p. 221 et suivantes, et aussi p.295..)
C’était la réplique aux enfumades du Dahra. Mais, jusque-là, durant quinze années pendant lesquelles il s’opposa à la France, la manière dont Abd el Kader avait traité les prisonniers avait toujours été empreinte de la plus grande générosité ; il les échangeait quand il le pouvait ; sinon, il les libérait sans condition le jour où il ne pouvait plus les nourrir. Nos soudards en étaient tout éberlués :
« Abd el Kader, écrit Saint-Arnaud, le 14 mai 1842, nous a renvoyé sans condition, sans échange, tous nos prisonniers. Il leur a dit : "Je n’ai plus de quoi vous nourrir, je ne veux pas vous tuer, je vous renvoie". Le trait est beau pour un barbare » (Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome I, p. 385.)
Abd el Kader
Saint-Arnaud, évidemment, n’en aurait point fait autant.
Combien d’Arabes prisonniers des Français en auraient pu dire autant ?
Mais ceux dont l’attitude marqua l’antithèse la plus frappante avec la manière dont la bourgeoisie comprend la guerre, furent les Kabyles.
Les Kabyles sont des guerriers. Ils sont traditionnellement habitués à se battre pour l’honneur, non pour le butin ou la conquête.
Lorsqu’un dommage avait été causé à un habitant d’un village par un habitant d’un autre village, on vengeait l’honneur par un combat, mais combat qui ne se terminait jamais par l’expropriation des vaincus. De telles guerres étaient donc aussi différentes d’une expédition coloniale que d’un duel l’est d’un assassinat.
Ces guerres, dès lors, étaient soumises, tout comme l’est le duel, à des règles, à un véritable Code d’honneur. Ce code, les Kabyles continuèrent à l’appliquer, même contre leurs envahisseurs.
C’est ainsi que lors du soulèvement de 1871, les Kabyles prévinrent les colons avant de les attaquer (Rinn : L’insurrection de 1871 en Algérie, p. 203.). Et ceux des colons qui, au lieu de partir ou de résister, se mirent sous la protection d’un kabyle, sous son « anaia », purent vivre en pleine sécurité durant toute l’insurrection, en plein pays insurgé.
Ce fut notamment le cas de 39 habitants de Bordj Menaïel, auxquels le marabout Si Moussa ben Ahmed avait proposé lui-même de se mettre sous son « anaia » ; ce fut également le cas du maire de Bordj Menaïel qui alla se mettre sous la protection des habitants du douar Rouaffa ; et aussi le cas de 30 voyageurs de la diligence de Dellys qui, sur le conseil de l’amine Omar Benzaman allèrent se réfugier dans le caravansérail, et sous la protection d’Azib Zamoun
(Rinn : L’insurrection de 1871 en Algérie, pp. 243 et 245.)
Ce qui n’empêcha pas le gouvernement de la République de commettre à l’égard des insurgés kabyles la même monstruosité que celle qu’il commettait, au même moment, à l’égard des insurgés parisiens : faire poursuivre, condamner et exécuter les chefs de l’insurrection comme coupables de crimes de droit commun ! Comme Ferré, Boumezrag, frère de Mokrani et successeur de celui-ci à la tête de l’insurrection, fut condamné à mort pour pillage et assassinat ! Thiers ne se contentait pas de tuer ; en Afrique comme à Paris, il lui fallait déshonorer.






Expropriation et déculturation,
les deux mamelles de la colonisation

Général de Bourmont, 5 juillet 1830 :
 « La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur industrie ne recevront aucune atteinte... Le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur. »
L’’honneur du général en chef ne dura que le temps de sa déclaration !
L’expropriation des indigènes, la réduction des indigènes à l’état de prolétaires, de producteurs travaillant pour la plus-value sur les terres que jusque-là ils cultivaient librement, tel est le but de toute conquête coloniale ; tel fut le but de la conquête de l’Algérie.
La commission parlementaire dont Alexis de Tocqueville était le rapporteur était composée de dix-huit membres. Seuls deux d’entre eux, Desjobert et Tracy, très minoritaires, n’étaient pas favorables à la colonisation. Tocqueville fait état de leur opposition :
« Le pays qu’il s’agit de coloniser, ont-ils dit, n’est pas vide ou peuplé seulement de chasseurs, comme certaines parties du Nouveau Monde; il est déjà occupé, possédé et cultivé par une population agricole et souvent même sédentaire. Introduire dans un tel pays une population nouvelle, c’est y éterniser la guerre et y préparer la destruction inévitable des races indigènes. »
La France a tout fait pour rendre la population analphabète, les centaines de madrassa ou on y apprenait à lire, écrire en arabe ont été détruites. Les arrière-grand-pères savaient lire et écrire arabe ce qui n'a pas été le cas de leur descendance. 
On peut trouver un arrière-grand père né il y a plus de 150 ans, enseignant dans son village, et ses petits-fils analphabètes. La destruction des lieux d’enseignement, de l’école primaire à l’université, faisait partie intégrante des objectifs des colonisateurs, affaiblir les algériens en les rendant analphabètes pour longtemps, peut-être la pire des armes de destruction massive

En guise de conclusion…et d’aveu

Le comte Le Hon, 
rapporteur 
de la commission d’enquête de 1869, reconnaît :
« C’est le régime 
auquel les indigènes sont soumis qui les faits périr. »