vendredi 29 décembre 2023



  

 

« Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie »

Un livre d’Edward Bernays

par Alain Vidal






 
Edward Bernays, ou la fabrique du consentement

USA, début 20ème siècle, avec la machine à vapeur, les capacités de production sont démultipliées. Problème se pose, les consommateurs potentiels traditionnellement économes n’achètent qu’en fonction de besoins vitaux. Les invendus s’accumulent.

Des entreprises feront  font appel à Edward Bernays. Exploitant à des fins mercantiles les travaux sur l’inconscient de son oncle, Sigmund Freud, il les utilisera à des fins mercantiles pour plonger les foules dans le consumérisme.

Développant le désir de se faire plaisir sans trop réfléchir, la publicité moderne était en marche :

« Créer du besoin, du désir et créer du dégoût pour tout ce qui est vieux et démodé »

La publicité devenu spectacle, courir les magasins devient un divertissement, les actionnaires se frottent les mains. Naît aux USA, l’épidémie de consumérisme se répandra dans le monde dans l’exploitation du grand nombre et la surexploitation des  écosystèmes.

Consommer devient synonyme de progrès et de liberté. Les cigarettiers veulent que les femmes fument. Bernays regroupera 20 jeunes filles sexy qui à l’avant d’une procession religieuse, sortiront leur paquet de cigarettes pour fumer. Devant une foule de journalistes, il déclarera :



« Elles allument des flambeaux pour la liberté ».




A des experts grassement rémunérés, il fera dire que la santé de la femme, c’est la minceur qu’on obtient en fumant…

Dès lors, la psychologie scientifique en partenariat avec les médias de masse, vont donner aux décideurs économiques et politiques un pouvoir fabuleux.

Bernays est le père des relations publiques, le père de ce que les Américains nomment le « spin », c’est-à-dire la manipulation de l’opinion au service de marchands et des politiciens.ue en partenariat avec les médias de masse, vont donner aux décideurs économiques et politiques un pouvoir fabuleux.

À l’époque, les Américains mangent peu de viande et le petit-déjeuner est presque inexistant.



Pour les patrons de l’industrie porcine, il lancera la pratique du petit déjeuner avec bacon fort de l’expertise de médecins grassement rémunérés.

Finie l’acquisition de biens en pleine conscience. Se détournant de l’action collective pour le  bien commun, le consommateur type trouvera dans l’achat, un moyen d’exprimer son moi le plus intime,  « ce qu’il a d’unique et de plus précieux mais qui reste caché".

Le premier des publicistes vantera la démocratie aux avant-postes de la liberté individuelle. Les marques sur les chaussures, sur les vêtements… transformeront l’utilisateur en publicité ambulante grossissant des foules de consommateurs qui "n’ont pas besoin de ce qu’ils désirent et ne désirent pas ce dont ils ont besoin".

Théâtre, film, la littérature, l’art en général, seront conçus pour étouffer l’esprit critique.

 Répondant au plus près aux demandes des marchands, il devient l’orfèvre de la propagande politique et d'entreprise.

"Notre démocratie ayant pour vocation de tracer la voie, elle doit être pilotée par la minorité intelligente qui sait enrégimenter les masses pour mieux les guider."

Bernays organisera avec la CIA des campagnes de discrédit de gouvernements étrangers au service de multinationales avides de conquérir de nouveaux marchés en Amérique latine.

En 1928, le président Hoover félicite publiquement le neveu de Freud : "Vous avez transformé les gens en infatigables machines à bonheur".

Dans son ouvrage phare « Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie » :

« [Il faut] dompter cette grande bête hagarde qui s’appelle le peuple ; qui ne veut ni ne peut se mêler des affaires publiques et à laquelle il faut fournir une illusion » 

Goebbels, ministre de la propagande d’Hitler, se réclamera de l’œuvre de Bernays…



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Voltaire, Rousseau
La querelle du luxe

par Alain Vidal



 

Dictionnaire Le Robert, le luxe:

"mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées au superflu"


Emilie Roffidal, chercheuse au CNRS :

« [Au 18ème siècle] les ouvrages, les revues littéraires, mais également les concours académiques placent le luxe au centre de leurs préoccupations et témoignent de l’existence d’un répertoire commun de références et de citations extraites, voire expurgées, des grands philosophes des Lumières ». 

Dans le Dictionnaire de philosophie, Voltaire à propos de Rousseau :

« Si l'on entend par luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite naturelle des progrès de l'espèce humaine ; et, pour raisonner conséquemment, tout ennemi du luxe doit croire avec Rousseau que l'état de bonheur et de vertu pour l'homme est celui, non de sauvage, mais d'orang-outang ».  

Perruques enfarinées, paysans affamés 

 Contrairement à aujourd’hui, la querelle autour du bienfondé du luxe faisait rage, à un point tel que Voltaire avait été jusqu’à demander la peine capitale pour Rousseau qui, prenant la défense du peuple, parlait de perruques enfarinées et de paysans affamés :

« Il faut de la poudre à nos perruques ; voilà pourquoi tant de pauvres n'ont point de pain […] si le luxe nourrit cent pauvres dans nos villes, et en fait périr cent mille dans nos campagnes […] Le luxe peut être nécessaire pour donner du pain aux pauvres : mais, s'il n'y avait point de luxe, il n'y aurait point de pauvres. »

Pastichant Rousseau, on pourrait dire : Le luxe peut être nécessaire pour créer des emplois, mais, s’il n’y avait pas d’emplois, il n’y aurait point d’enrichis, point d’appauvris. Il y aurait abondance de métiers pour servir le bien commun, mais pas d’emplois, forçant un peuple à satisfaire des désirs somptuaires.


En 1782, Sébastien Lemercier estime qu'au moins "dix mille infortunés" auraient pu être nourris tous les jours avec toutes ces quantités de farine destinées aux perruques. Il dénonce dans son « Tableau de Paris », « l’homme de luxe ». Il appelle à le faire comparaître « au tribunal de l’humanité ». 

En France, la comtesse de Matignon payait à son coiffeur Baulard, 24.000 livres par an, pour lui faire un nouveau dessin de perruque, chaque jour de la semaine. Malgré les famines, on continua de saupoudrer les perruques, de farine.


Montesquieu dans « L’esprit des lois »:

 « Le luxe est toujours en proportion avec l’inégalité des fortunes. Si, dans un état, les richesses sont également partagées, il n’y aura point de luxe ; car il n’est fondé que sur les commodités, qu’on se donne par le travail des autres.

 Pour que les richesses restent également partagées, il faut que la loi ne donne à chacun, que le nécessaire physique. Si l’on a au-delà, les uns dépenseront, les autres acquerront, et l’inégalité s’établira […], moins il y a de luxe dans une République, plus elle est parfaite. Les lois du nouveau partage des champs, demandées avec tant d’instance dans quelques Républiques, étaient salutaires par leur nature […] ».

D’un côté, Voltaire, dans l’apologie du « superflu, chose si nécessaire", de l’autre, Rousseau dénonçant :

 "Le luxe [qui] corrompt à la fois le riche et le pauvre, l'un par la possession l'autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité ; il ôte à l'Etat, tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l'opinion […] Le luxe est diamétralement opposé aux bonnes mœurs"

Yves Vargas, philosophe, spécialiste de Rousseau :

« Les riches consomment par désir ce que les pauvres fabriquent par besoin » 

Au 18ème siècle, les tenants du capitalisme ne mâchaient pas leurs mots, ils parlaient de la société de luxe. Voltaire comme Mandeville défendaient l’industrie du luxe sans laquelle, nul n’aurait d’emploi. 

Que chacun reste à sa place et les privilèges seront garantis !

A l’inverse, pour l’économiste David Ricardo, salaires et profits s’opposent. 


Michel de Montaigne, dans les Essais :



« Il ne se fait aucun profit qu’au dommage d’autrui » 

Personne ne doit s’enrichir au détriment d’autrui :

Mandeville et Voltaire disaient vrai, pour qu’une minorité vive dans le luxe, le peuple doit travailler. Leur modèle : Athènes, 30 000 citoyens se livrant au plaisir de vivre dans le confort matériel et culturel, aux dépens de 270 000 esclaves, femmes et métèques, sans aucun droit. 

Excepté Rousseau, les philosophes des Lumières défendent « une théorie juste pour un monde injuste ».  

L’amour propre cherche à tout prix, l’admiration des autres, quoiqu’il en coûte aux ouvriers, aux paysans, qui directement ou indirectement travailleront la plus grande partie de leur vie gratuitement pour les privilégiés. 

Voltaire n’avait que mépris pour le peuple, « des gueux ignorants », quant à Rousseau, il se rangeait délibérément à leurs côtés :

« Qu'on ajoute à tout cela, cette quantité de métiers malsains qui abrègent les jours ou détruisent le tempérament ; tels que sont les travaux des mines, les diverses préparations des métaux, des minéraux, surtout du plomb, du cuivre, du mercure, du cobalt, de l'arsenic, du réalgar ; ces autres métiers périlleux qui coûtent tous les jours la vie à quantité d'ouvriers, les uns couvreurs, d'autres charpentiers, d'autres maçons, d'autres travaillant aux carrières ; qu'on réunisse, dis-je, tous ces objets, et l'on pourra voir dans l'établissement et la perfection des sociétés, les raisons de la diminution de l'espèce, observée par plus d'un philosophe.

Le luxe, impossible à prévenir chez des hommes avides de leurs propres commodités et de la considération des autres, achève bientôt le mal que les sociétés ont commencé […] Le luxe est un remède beaucoup pire que le mal qu'il prétend guérir ; ou plutôt, il est lui-même le pire de tous les maux, […] [ le luxe], pour nourrir des foules de valets et de misérables qu'il a faits, accable et ruine le laboureur et le citoyen. Semblable à ces vents brûlants du midi qui, couvrant l'herbe et la verdure d'insectes dévorants, ôtent la subsistance aux animaux utiles et portent la disette et la mort dans tous les lieux où ils se font sentir […]

 Le cultivateur, méprisé, chargé d'impôts nécessaires à l'entretien du luxe et condamné à passer sa vie entre le travail et la faim, abandonne ses champs, pour aller chercher dans les villes le pain qu'il y devrait porter. 

Plus les capitales frappent d'admiration, les yeux stupides du peuple, plus il faudrait gémir de voir les campagnes abandonnées, les terres en friche, et les grands chemins, inondés de malheureux citoyens devenus mendiants ou voleurs et destinés à finir un jour leur misère sur la roue ou sur un fumier ». 

 

L’économie du désir aux dépens des besoins du peuple.

Si les besoins du corps ont une limite, l’imagination n’en a pas.

L’estomac de l’enrichi rassasié de nourriture doit se reposer. Par contre, le désir obsessionnel, relevant de l’immatériel, par essence illimité, ne connaît aucune contrainte. 

L’ennui, c’est que la satisfaction de ce désir d’ordre immatériel exige une accumulation sans fin de biens matériels, en contradiction avec les ressources de la terre qui par nature, sont non renouvelables dans l’immédiat. Ressources limitées qu’il nous faudrait économiser au nom des générations à venir.

Pour Mandeville, ce qui fait la grandeur d’une nation, c’est la formidable capacité des enrichis à vouloir s’enrichir toujours plus, entraînés dans une course sans fin, dans le dépassement de celui qui précède. 

Le marché capitaliste pour Rousseau repose avant tout sur l’imaginaire. D’ailleurs, dans sa Lettre aux Polonais, le philosophe conseille ironiquement, aux habitants de la Pologne que s’ils veulent être reconnus en Europe, ils doivent développer le commerce et le luxe !


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A.Smith,

seul l’ouvrier produit des marchandises

par Alain Vidal

Adam Smith affirme ainsi que « le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise ». Le travail évalué en termes de temps nécessaire à la destruction-transformation de matières premières en objet utilisable.






L’analyse de Smith a fourni à l’économie politique moderne un de ses fondements majeurs. Les grands décideurs de la planète s'en réclament  mais en faisant ostensiblement silence sur la gratuité des services qui ne créent aucune marchandise échangeable sur le marché!

L’Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), est considéré par la science économique comme l’œuvre fondatrice de la discipline.

« Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n'ont souvent que peu ou point de valeur en échange ; et au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en échange n'ont souvent que peu ou point de valeur en usage. »

Par exemple, l'eau et le diamant.




La monnaie ne sert ici que d’intermédiaire pour mesurer ces valeurs. La monnaie, les métaux précieux n’ont de valeur que dans la mesure où ils servent à mesurer cette valeur travail.


« Ce n'est point avec de l'or ou de l'argent, c'est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement ; et leur valeur pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions, est précisément égale à la quantité de travail qu'elles les mettent en état d'acheter ou de commander. »

Les services ne sont pas créateurs de richesses. En effet, les services ne peuvent servir à l’accumulation de richesses puisqu’ils disparaissent au moment où ils sont produits. 

Sans cette trace qui sert à l’établissement des prix, pas d’échange, pas de marché…Ainsi, pour Smith, le travail domestique, les magistrats ne sont pas considérés comme productifs.« Le travail du domestique, au contraire, ne se fixe ou ne se réalise sur aucun objet, sur aucune chose qu’on puisse vendre ensuite ».

Adam Smith, seul l’ouvrier produit des valeurs marchandes

Dès 1776 Smith fait remarquer :

 « Les propriétaires, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir, là où ils n’ont pas semé ». 

Smith fait la différence entre les activités agricoles et industrielles, et les activités relevant du secteur tertiaire : les services.

« L’ouvrier de manufacture ajoute de la valeur à la matière sur laquelle travaille cet ouvrier : la valeur de sa subsistance et du profit de son maître ». 

« Le travail du domestique, […] ne crée aucune marchandise […] n’ajoute aucune valeur à rien  ; c’est un travail improductif, qui ne pourra jamais enrichir celui qui l’emploie ».

« Un particulier s’enrichit à employer une multitude d’ouvriers fabricants ; il s’appauvrit à entretenir une multitude de domestiques ». 

Ce constat vaut pour l’ensemble des activités du tertiaire, en France, aujourd’hui, cela concerne 90% des actifs ! Les objets constituant notre environnement matériel, du coton-tige à l’avion supersonique, portent en eux une trace de travail humain.




 Les objets immatériels, pas du tout. Quant à la dépense de temps, certes, elle existe. 

Mais rappelons-le, du SDF au milliardaire, l’égalité règne en maîtresse : devant le temps, nous sommes tous égaux ; nous dépensons tous, 24 heures par jour, pas une seconde de plus ou de moins. 

L’inégalité s’inscrit dans la manière de dépenser ce temps : les dominants imposant l’emploi du temps aux travailleurs.




Et Adam Smith, de nous donner une liste haute en couleur:

« Le travail de quelques-unes des classes les plus respectables de la société, de même que celui des domestiques, ne produit aucune valeur.  […]

Le souverain, par exemple, ainsi que tous les autres magistrats civils et militaires qui servent sous lui, toute l’armée, toute la flotte, sont autant de travailleurs non productifs. Ils sont […] entretenus avec une partie du produit annuel de l’industrie d’autrui. […].

 La protection, la tranquillité, la défense de la chose publique, qui sont le résultat du travail d’une année, ne peuvent servir à acheter la protection, la tranquillité, la défense qu’il faut pour l’année suivante.

Quelques-unes des professions les plus graves et les plus importantes, quelques-unes des plus frivoles, doivent être rangées dans cette même classe : les ecclésiastiques, les gens de loi, les médecins et les gens de lettres de toute           espèce, ainsi que les comédiens, les farceurs, les musi­ciens, les chanteurs, les danseurs d’Opéra, etc.






 Leur ouvrage à tous, tel que la déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au moment même qu’il est produit. 


Les travailleurs productifs et les non productifs, et ceux qui ne travaillent pas du tout, sont tous également entretenus par le produit annuel de la terre et du travail du pays.

Ce produit, quelque grand qu’il puisse être, ne saurait être infini, et a nécessai­rement ses bornes. ». 

Il est bon de rappeler qu’en 2020, dans les pays à forts PIB, 90% des actifs sont des travailleurs du tertiaire. 

Les ultra-milliardaires, créateurs des fameux GAFA nés dans la Silicon Valley, n’ont jamais produit une seule valeur ajoutée, une seule valeur marchande. Les revenus d’un balayeur, d’un médecin, d’un enseignant, comme ceux de Bill Gates, proviennent tous, sans exception, du seul travail productif du paysan, de l’ouvrier et de l’artisan.

Leur travail nécessite des connaissances et des savoir-faire, puisés, uniquement, dans l’atelier cérébral :  lieu de la non dépense, où tout se crée ex nihilo, sans aucune transformation de ressources naturelles, sans aucune destruction de matières premières.C’est l’espace de l’immatériel, non mesurable, utilisable à l’infini. La production d’un objet immatériel (un cours d’histoire, un diagnostic, un roman, un film, un mail…) ne transforme pas le stock immatériel utilisé. Ce dernier reste intactutilisable sans modération !

Un paradoxe de taille, malgré sa juste analyse de la valeur travail Adam Smith resta fidèle à l'économie de marché...



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