vendredi 28 août 2015

Entre enseignants et ouvriers échanger est impossible



Entre enseignants et ouvriers
échanger est impossible
par Alain Vidal




L’ouvrier produit des biens matériels périssables, l’enseignant, des biens immatériels non périssables.
       Dans l’industrie, l’agriculture et l’artisanat, la production de biens matériels relève du champ de l’économie, les ressources matérielles de la planète étant par nature finies. L’économie, c’est la gestion des ressources périssables, de ces ressources qui s’épuisent et qui finissent par disparaître à force d’utilisation.

       Economiser relève de la sphère de l’économie qui par définition est la gestion de la rareté.

     Si une certaine quantité de planches est nécessaire pour construire un meuble, la production d’un autre meuble exigera l’utilisation d’une nouvelle quantité de planches.

      A l’inverse, économiser serait absurde dans la production des biens immatériels, c’est-à-dire dans le secteur tertiaire, celui des services. L’économie n’y a pas sa place, pour preuve, les connaissances, (savoirs, savoir-faire…) nécessaires à la construction d’un cours d’histoire peuvent être utilisées simultanément par un nombre illimité de d’enseignants. Par nature, les connaissances existantes sont inépuisables, non périssables. En outre, un même cours, une fois élaboré, peut être transmis à un nombre illimité d’auditeurs ou de lecteurs.

        Autant, les biens matériels s’usent dans leur utilisation, autant les biens immatériels, non seulement ne s’usent pas, mais produisent en circulant toujours plus de nouvelles richesses immatérielles. D’un côté, les ressources finies de la planète, de l’autre, les ressources infinies du cerveau.

      Une plaidoirie d’avocat, un diagnostic médical, un acte notarial, une invention, un réglage technique, la conception d'un projet par un ingénieur, un mode d’emploi, un plan, une recette de cuisine, un savoir-faire, une création monétaire, un crédit bancaire…ne relèvent en tant que tels d’aucun prélèvement de matières premières.

       Il s’agit d’un travail de production purement cérébrale relevant du seul champ de l’anti-économie.

      Quant à la monnaie, elle n’est que chiffres et lettres, une symbolique immatérielle créée ex-nihilo par le seul esprit humain, un instrument de mesure pour valeurs marchandes. Contrairement à une idée plus que reçue, la création monétaire ne relève que du secteur tertiaire. Dire que la monnaie a une valeur marchande (une valeur d’échange), cela revient à confondre la mesure qu’indique la balance et la quantité de pommes de terre pesée…

        Ce préalable effectué, la démonstration va être faite qu’une économie de  marché ne peut concerner que des biens matériels. Les biens immatériels sont inéchangeables car  chacun peut les utiliser immodérément sans que personne n’en soit privé.

        La démonstration sera faite que, sur le marché, un ouvrier ne peut échanger les fruits de son travail (directement ou par monnaie interposée) ni avec le travail d’un enseignant, ni avec celui d’une quelconque activité du tertiaire.

Une marchandise c’est un produit dont la production demande une destruction préalable. C’est le temps socialement nécessaire à la destruction-transformation qui fonde la valeur marchande de la production achevée.
         Un  temps socialement nécessaire  qui varie en fonction de la concurrence, par exemple, ce sera le temps qui mesure la destruction de la farine et autres ingrédients nécessaires à la fabrication du pain...Le concept de valeurs marchandes est ainsi intimement associé à celui de temps de production.
         Comment,  dans ces conditions, mesurer un temps de destruction qui par nature n’existe pas puisque dans la production d’un bien immatériel, un cours, un roman, une plaidoirie, un diagnostic, l’ouverture d’un crédit bancaire…on ne constate aucune destruction préalable des « matériaux » immatériels utilisés ?
          Comment, dans ces conditions parler d’un marché de la connaissance ?
         L’alphabet indispensable à l’écriture de la langue et cependant utilisé un nombre incalculable de fois,  ne s’est jamais trouvé en rupture de stock depuis son invention bien avant Jésus-Christ,!
        Même chose pour le théorème de Pythagore qui n’a pas pris une ride malgré son utilisation immodérée depuis 2500 ans, par contre le lait de brebis qu’a bu le mathématicien de Samos pour fêter son invention, n’a servi qu’une seule et unique fois, et pour cause !
        Aucun objet matériel ne se produit sans destruction.


Mais comment se fait-il que l’enseignant, le chauffeur routier, le médecin, l’infirmière, l’architecte, le banquier…qui ne produisent aucune marchandise, disposent de revenus avec lesquels ils achèteront de vraies marchandises, du vin, des chaussures, une voiture, des épingles à linge ?

       En réalité, les revenus des métiers du tertiaire (les services) viennent, directement  ou indirectement, de prélèvements effectués sur la vente de ces productions matérielles que sont  les marchandises.

        C’est ainsi qu’à la source de tout revenu, on trouve le travail de l’ouvrier.De l’allocation chômage jusqu’au revenu vertigineux d’un grand patron, en passant par un smic ou le salaire d’un cadre supérieur, les subventions aux associations ou la rémunération d’un médecin.

         De dire que les services produisent des marchandises et participent  à la croissance du PIB n’est qu’interprétation erronée de la réalité, un vulgaire tour de passe-passe, quand on sait que les soi-disant « salaires et profits » des services dits marchands proviennent des seules activités des secteurs primaire et secondaire.



Ce constat ne signifie pas que les services ne jouent aucun rôle dans  la production des marchandises, pas du tout, ils sont tout simplement complémentaires, mais la complémentarité et l’échangeabilité sont incompatibles.

       Si le travail du cœur et celui des reins sont indispensables au fonctionnement de notre corps, il ne viendrait à l’idée de personne d’imaginer qu’on puisse considérer leurs activités comme relevant d’un système d’échange. Fort heureusement, la médecine n’évalue  pas notre santé par un chiffre comme on le fait si grossièrement avec le PIB qui soi-disant mesure la bonne santé ou la mauvaise santé du  corps social d’un pays à l’aide de la seule production de valeurs marchandes.

         Sans la recherche, la médecine, la formation…les technologies ne seraient pas ce qu’elles sont, sauf que, comme j’en ai fait la démonstration, les métiers de service se situant en amont ou en aval de la sphère de l’économie, ne peuvent humainement parlant être comptabilisés car relevant de la seule sphère de l’abondance, par nature incommensurable.

         La rareté mesurable n’est pas échangeable contre l’abondance non mesurable


Ainsi, l’argent créé par les banquiers sur la base des seules marchandises produites irriguera directement ou indirectement le corps social.

         Directement, l'ouvrier par exemple, fabriquant des chaussures paiera à l’aide de son salaire, le médecin, son billet de train, des cours particuliers pour son enfant…

         Indirectement, le médecin, l'employé de la SNCF, le prof, le banquier avec l’argent reçu du travail de l’ouvrier, paieront biens matériels et immatériels dont ils ont besoin d'où l'illusion entretenue d’un échange. L'illusion d'une économie de marché...réduite à 10% seulement de la population « active » !

         Ces trois secteurs totalisent moins de 10% de la population active! En effet, les statistiques de l’INSEE annonçant le pourcentage des travailleurs du primaire et du secondaire comptabilisent non seulement les ouvriers mais aussi le personnel des bureaux, de la recherche, des transports…ce qui donne une image déformée  de la réalité.

          Il en résulte que 90 % des activités privées et publiques se situent par la force des choses hors du marché, hors de toute préoccupation d’ordre économique.





 Valeurs  marchandes produites par 10% de la population active, les ouvriers.


           Une autre catégorie de monnaie est créée sous forme de crédit en tant que  promesses sur des valeurs marchandes à venir…et qui souvent ne viennent pas ! D’où la crise, une crise qui se traduit par un accroissement des taxes et des impôts et par la réduction drastique du service dit public, ainsi les spéculateurs sont indemnisés pour le butin qu’ils n’ont pas obtenu par la voie habituelle.

Un marché contre nature ou l’impossible échange  entre « biens rivaux » et « biens non rivaux ».
Au-delà de la fausse distinction entre services privés qualifiés abusivement de marchands et services publics réellement non marchands on doit on doit par souci de clarté, distinguer deux grandes catégories d’activités
 La première qui relève des  biens rivaux (biens matériels), la deuxième qui relève des biens non rivaux (biens immatériels).
Une classification qui met en lumière le concept de rivalité dont l’émergence délimite la frontière entre l’histoire et la préhistoire, entre la coopération dans la libre circulation des savoirs et savoir-faire, et la compétition dans la confiscation des technologies. Confiscation au nom de la rivalité opposant des concurrents  à la plus grande fortune ne se complaisant que dans l’accumulation sans fin. 
Aujourd’hui, de par les gains de productivité, il en résulte que seuls les rentables trouvent un emploi, ce qui ne fait qu’accroître la foule des chômeurs non rentables …
Depuis 5000 ans, par la contrainte physique puis par le brevet sur  invention, une minorité s’octroie des privilèges dans la domestication de l’homme  par l’homme.
Les valeurs marchandes matérielles produites par les ouvriers (salariés, esclaves), et par de petits propriétaires (dits indépendants, mais fortement imposés), étant redistribuées aux travailleurs des services en fonction du seul intérêt qu’y trouvent les dominants. Une minorité parmi ceux-là échappe aux conditions de vie du plus grand nombre,  tel l’esclave  vivant dans le luxe en tant que conseiller du prince ou, aujourd’hui, le pdg salarié, grand serviteur d’actionnaires.
Ainsi, les inventions qui pendant si longtemps avaient réduit considérablement le labeur des hommes, deviennent aujourd’hui, entre les mains d’une poignée d’addicts à la surpuissance, des armes de destruction massive de l’humain et de son environnement.
Un droit de propriété permet  au seul possesseur de la pomme de la manger, mais comment prétendre être propriétaire d’une idée quand tout un chacun peut l’utiliser sans que personne ne soit exclu de son utilisation ? Le terme de propriété intellectuelle n’est pas conforme, en réalité, nous avons affaire à un droit négatif qui interdit à des tiers d’utiliser une invention sans l’autorisation de l’inventeur.
Les capitalistes en déclarant  rivaux des biens non rivaux, entretiennent la guerre de tous contre tous par des péages autorisant ou non l’accès aux biens immatériels
Au fronton de nos aspirations, il faut exiger l’inscription des biens non rivaux au patrimoine de l’humanité, condition première de la construction d’une démocratie authentique.
La confiscation des biens non rivaux faisant artificiellement de ces derniers des objets de rivalité, nous enferme dans une logique infernale qui nous fait socialement régresser dans une abondance technologique réelle mais dont l’accès ne nous est autorisé que par un chantage permanent au droit de vivre.
Par la confiscation du patrimoine immatériel de l’humanité, le grand patronat recrée artificiellement une pénurie de technologies afin de nous faire croire à la nécessité de travailler toute une vie pour satisfaire nos besoins fondamentaux.
Dans la libre circulation des inventions, et pour un niveau de vie incomparable, nous n’aurions à travailler qu’un très faible pourcentage du temps qui nous est imposé aujourd’hui.
Quel paradoxe d'exiger que les revenus des services (médecin, conducteur de train, enseignant, livreur, artiste, chercheur, infirmière, banquier...) dépendent d’une mesure alignée sur un temps de production de biens matériels, quand on sait que ce temps ne cesse de décroître sous l'effet du progrès technologique et des gains de productivité.
Le marché capitaliste n’existe que dans la gestion de la rareté, l'abondance technologique si elle était enfin reconnue d’intérêt général représente le pire des cauchemars pour le grand patronat, et pour cause, dans la satisfaction des besoins de bien commun (nourriture, éducation, santé, logement..) la rivalité entre grands patrons deviendrait impossible.
Dans une société de prospérité où le progrès technologique irait de pair avec le progrès social, qui serait assez fou d’aller perdre son temps dans la fabrication  de montres de grand luxe demandant des centaines d’heures ou dans la production de yachts exigeant des millions d’heures de travail humain, quand on sait que toute heure gaspillée pour le marché du luxe est une heure de perdue pour l’intérêt général, pour la construction dans le beau, l’utile et l’agréable, d’écoles, d’hôpitaux, de logements
Avec le capitalisme on en arrive à une contradiction insurmontable : 
pour accéder à des services qui participent à la diminution inexorable du temps de production des marchandises, on nous taxe avec une monnaie alignée sur ce même temps qui lui, ne cesse de disparaître !!! 
En s’obstinant à faire une richesse de la production marchande le capitalisme nous fait vivre en dessous de nos moyens.
Du jour au lendemain, si les biens non rivaux étaient enfin reconnus pour ce qu’ils sont, nous pourrions enfin passer d’une société de l’échange à  une société de partage, dans laquelle, les activités des uns et des autres enfin reconnues comme complémentaires et non échangeables, nos activités ne contrediraient plus l’intérêt général mais relèveraient  du droit de tous à la vie.
Dans la libre circulation des richesses immatérielles, l’échange devient obsolète ainsi que tous les prélèvements (taxes, impôts…) et cède naturellement  la place au partage des richesses matérielles entre tous, avec un revenu d’existence de la naissance  la mort. Un revenu d’existence parce que nous sommes tous les héritiers d’un  patrimoine cérébral que  nos ancêtres lointains nous ont légués gratuitement .
Le niveau de vie ferait un bond extraordinaire dans le respect de l’humain et de son environnement.
Si, dès l’aube de l’humanité, ce droit inique de propriété intellectuelle avait été la règle, la circulation des savoirs et savoir-faire aurait  à un tel point été ralentie que nous n’en serions peut être pas même à l’invention  du feu. 
N’oublions jamais que, sans la liberté d’accès aux biens non rivaux, jamais un cerveau si proche de celui d’un singe, aurait pu évoluer pour devenir celui par lequel l’humain s’accomplit, celui de l’homo sapiens, celui de la mémoire, de l’anticipation, celui du monde des idées, celui de la création artistique, de Lascaux au Tassili, celui de ces œuvres qui n’ont pas de prix car jaillies d’une vie d’avant l’invention chronophage du  profit.
D’avant l’invention la plus sinistre qui soit, la domestication de l’homme par l’homme, pour que fonctionne un marché très particulier, un marché privatif, celui du luxe, celui où,  bien au delà des besoins vitaux, l’on se vautre dans la consommation excessive.
 Une consommation qui donne l’illusion d’un pouvoir quasi divin par le contrôle de la  dépense du temps des gens, par le développement de l’enrichissement par l’appauvrissement.
C’est l’avidité contre l’altérité, c’est le luxe qui luxe le corps social, l’écartèle, le démembre.
Le luxe, cette esthétique de la domination.
Le luxe, signe de l’honorabilité, du prestige, de la distinction par  l’humiliation, humiliation des déshérités de la Terre par l’héritage confisqué.
Cet héritage, patrimoine de savoirs patiemment accumulés depuis la nuit des temps, constitue  une  mémoire commune, un cerveau universel.
Pour le somptuaire dont la fonction est d’intimider les peuples, combien de sociétés solidaires anéanties, combien d’humains, transformés en esclaves pour la construction de palais antiques, transformés en ouvriers miséreux pour l’érection du  château d’un roi qui se prenait pour le soleil, sans oublier les vagues de migrants édifiant des résidences hollywoodiennes.
Construit dans la coopération, l’humain se détruit dans la domestication
Alain Vidal



















































































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