samedi 25 juin 2022

 


Adam Smith, seul l’ouvrier 

produit des valeurs marchandes

                                                                                             


  par Alain Vidal



Adam Smith, au 18ème siècle, premier grand théoricien de l’économie politique, a déplacé le concept du profit, de la sphère du sacré à celle du sécularisé. Avec lui, le profit, sans référence théologique, s’installe dans l’ordre naturel des choses, dans une représentation mathématique du monde. Qui dit mathématiques, dit logique sociale.

Le père de l’économie politique, le gourou du grand patronat présent et passé, a réalisé la prouesse de désacraliser le concept de providence divine en laïcisant la marchandisation, initiée dès l’aube de l’antiquité, par les premiers prêtres-rois. Les dogmes professés par l’Eglise, devenaient subitement des vérités scientifiques fondées sur la raison.

Adam Smith s’échina à élaborer une théorie mathématisant les rapports sociaux à la façon de Newton, quant à la compréhension du système solaire. Il établit un parallèle entre le monde et les sciences sociales. Il ne supportait pas l’idée que les humains puissent échapper à une mécanique obéissant à un ordre comparable à celui du monde physique. L’ordre voulu par dieu, mathématisé, devenait de la sorte un objet scientifique apparemment rationnel et donc irréfutable.

Dès 1776 Smith fait remarquer :

 « Les propriétaires, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir, là où ils n’ont pas semé ». 

Smith a parfaitement fait la différence entre les activités agricoles et industrielles, et les activités relevant du secteur tertiaire : les services.

« L’ouvrier de manufacture ajoute de la valeur à la matière sur laquelle travaille cet ouvrier : la valeur de sa subsistance et du profit de son maître ». 

« Le travail du domestique, […] ne crée aucune marchandise […] n’ajoute aucune valeur à rien ; c’est un travail improductif, qui ne pourra jamais enrichir celui qui l’emploie ».

« Un particulier s’enrichit à employer une multitude d’ouvriers fabricants ; il s’appauvrit à entretenir une multitude de domestiques 

Smith :

« Le travail du domestique, au contraire, ne se fixe ou ne se réalise sur aucun objet, sur aucune chose qu’on puisse vendre ensuite ». Ce constat vaut pour l’ensemble des activités du tertiaire, en France, aujourd’hui, cela concerne 90% des actifs !

Pour cette raison, ils ne se prêtent à aucune mesure, permettant l’échange marchand, ni même l’échange tout court. Contrairement à la croyance populaire, le travailleur du tertiaire ne dépense rien, n’entame pas les ressources de la planète puisqu’il ne produit aucune marchandise.

Les objets constituant notre environnement matériel, du coton-tige à l’avion supersonique, portent en eux une trace de travail humain. Les objets immatériels, pas du tout. Sans cette trace qui sert à l’établissement des prix, pas d’échange, pas de marché…

Toute production, agricole ou industrielle, constitue une dépense pour les ressources planétaires.

Le travail du médecin, du prof, de l’architecte, du serveur de restaurant, du livreur, nécessite des connaissances et des savoir-faire, puisés, uniquement, dans l’atelier cérébral :  lieu de la non dépense, où tout se crée ex nihilo, sans aucune transformation de ressources naturelles, sans aucune destruction de matières premières.

C’est l’espace de l’immatériel, non mesurable, utilisable à l’infini. La production d’un objet immatériel (un cours d’histoire, un diagnostic, un roman, un film, un mail…) ne transforme pas le stock immatériel utilisé. Ce dernier reste intact, indépensable…utilisable sans modération !

Et Adam Smith, de nous donner une liste à la Prévert presque 300 ans après :

« Le travail de quelques-unes des classes les plus respectables de la société, de même que celui des domestiques, ne produit aucune valeur.  […]

Le souverain, par exemple, ainsi que tous les autres magistrats civils et militaires qui servent sous lui, toute l’armée, toute la flotte, sont autant de travailleurs non productifs. Ils sont […] entretenus avec une partie du produit annuel de l’industrie d’autrui. […]. La protection, la tranquillité, la défense de la chose publique, qui sont le résultat du travail d’une année, ne peuvent servir à acheter la protection, la tranquillité, la défense qu’il faut pour l’année suivante.

Quelques-unes des professions les plus graves et les plus importantes, quelques-unes des plus frivoles, doivent être rangées dans cette même classe : les ecclésiastiques, les gens de loi, les médecins et les gens de lettres de toute           espèce, ainsi que les comédiens, les farceurs, les musi­ciens, les chanteurs, les danseurs d’Opéra, etc.

 […] Leur ouvrage à tous, tel que la déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au moment même qu’il est produit. Les travailleurs productifs et les non productifs, et ceux qui ne travaillent pas du tout, sont tous également entretenus par le produit annuel de la terre et du travail du pays.

Ce produit, quelque grand qu’il puisse être, ne saurait être infini, et a nécessai­rement ses bornes.

Suivant donc, que dans une année, une portion plus ou moins gran­de de ce produit est employée à entretenir des gens non productifs, plus ou moins grande, sera la portion qui restera pour les gens productifs, et plus ou moins grand sera, par conséquent, le produit de l’année suivante ; la totalité du produit annuel, à l’exception des productions spontanées de la terre, étant le fruit du travail productif ». 

La propriété intellectuelle fut inventée pour simuler la rareté : deux concepts fondamentalement antinomiques.

On ne peut se prétendre propriétaire de l’abondance illimitée et de la non dépense. Le soleil brille pour tout le monde, si le côté le plus ensoleillé d’une rue est plus cher, ce n’est pas pour acheter plus de soleil, c’est pour enrichir les propriétaires. Le soleil, lui, ne vend rien.

Tout le monde ou presque, croit que le tertiaire produit des marchandises. Cette croyance est entretenue par les grands médias, les économistes orthodoxes, le système scolaire… en omettant l’analyse de Smith sur le travail, ils continuent malgré tout, contre vents et marées, à vouer une admiration sans borne, à Adam Smith.

Et pour cause…malgré le portrait très réaliste qu’il fait des relations de subordination travailleurs-patrons, l’économiste philosophe mettra tout son art à défendre ce système inégalitaire.

Pour Smith, le travail produisant des biens matériels tangibles est la seule valeur, autorisant l’échange des marchandises en nature ou sous forme monétaire, donc :

« Ce que chaque chose vaut réellement pour celui qui l’a acquise, […] c’est la peine et l’embarras que la possession de cette chose peut lui épargner et qu’elle lui permet d’imposer à d’autres personnes. […] Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement ».

Malgré tout, il n’est pas question pour ce professeur de morale de crier haro sur les dépenses fastueuses des élites.


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