Le marché de la connaissance n'existe pas
par Alain Vidal
On échangera une baguette contre une plaque de chocolat, mais une idée, ça se transmet, ça ne s'échange pas...
Le savoir (savoir-faire, procédés, recettes, formules…) ne sont
pas des objets physiques tels que les biens matériels.
Les biens matériels ont des caractéristiques physiques mesurables
(masse, forme…). On peut se les approprier, on peut les échanger, par l’usage
on les consomme, on les détruit. Par contre, le savoir est inappropriable,
inéchangeable et inconsommable.
Comment être dépossédé d’un savoir qui, simultanément, peut être
utilisé par un nombre illimité de personne ?
Comment s’approprier un savoir dont on ne peut être
dépossédé ?
Comment échanger un savoir qui ne connaît que la transmission sans
déperdition aucune ?
Comment consommer un savoir qui s’enrichit par l’usage du plus
grand nombre ?
Comment pourrait-il exister un marché du savoir, « un marché
de la connaissance », alors qu’un
bien immatériel ne présente aucune des caractéristiques qui légitiment l’échange des biens matériels rares ?
Contrairement aux biens matériels, le savoir est indivisible.
Les biens matériels rares sont des « biens
rivaux » : si c’est à moi ce n’est pas à toi !
Etant indivisible et inappropriéable, le savoir est par nature
inéchangeable.
Quand on transmet un savoir, on ne perd rien, au contraire, la
circulation du savoir ne fait qu’augmenter sa valeur, de par les contributions
des utilisateurs.
L’utilisation du savoir n’est pas destructrice, bien au contraire,
elle est créatrice, en ce sens, la circulation du savoir relève intrinsèquement
du processus de production de connaissances.
En aucune manière, le savoir ne peut avoir un prix car il échappe
subtilement à tout échangisme, à toute logique de marché.
La mémoire, « boîte à outil de production de savoir »,
ne relève pas de la sphère de l’économie car l’économie est la gestion de la
rareté qui appelle un système fondé sur l’échangisme.
Libéré du verrouillage par les brevets et les droits d’auteurs, le
savoir circulant librement apporte dans son sillage la gratuité dans l’abondance
des inventions génératrices de réduction du temps consacré à la production des
biens matériels. Et notamment ce bien matériel qu’était la monnaie autrefois de
par l’exigence d’un support qui nécessitait, comme l’or, de grandes quantités
de travail.
Aujourd’hui, l’information monétaire libérée de son support
physique en est réduite à l’état de savoir immatériel ignorant rareté et
pénurie.
Le véritable moteur de l’histoire, c’est ce pouvoir quasi infini
de production de richesses dans la libre circulation porteuse de mutualisation.
L’invention dans la coopération est une source de joie communicative, à
l’opposé de la tristesse, voire du stress, que provoque le travail dans la
subordination, dans l’aliénation à la corvée pour le seigneur du capital
(salariat et profit bancaire).
En ce sens, la propriété intellectuelle apparaît comme facteur
premier de production de rareté. Une rareté artificiellement créée par certains
pour donner l’illusion de la nécessité de l’échangisme sans lequel une minorité
ne pourrait se procurer les produits de luxe à très haut contenu en travail
humain.
Un système d’enclosure du bien commun privatise l’héritage de l’humanité
de savoirs et savoir-faire cristallisés dans les machines mises sous tutelle
par le droit inique de la propriété intellectuelle.
La propriété intellectuelle ne protège pas l’inventeur de la
dépossession, elle donne le droit de déposséder autrui de la libre utilisation
d’un savoir qui n’appartient à personne parce que inappropriable et
inéchangeable.
Il faut dépasser un droit fondé sur la gestion d’une rareté
artificiellement créée.
Autrefois, le droit aidait à gérer une rareté naturelle
de par le faible niveau technologique, aujourd’hui, le droit s’emploie à
fabriquer la rareté dans l’abondance technologique. Pourquoi ?
Au nom des besoins de luxe de grands actionnaires, nouveaux
seigneurs du capital à la tête d’armées de salariés. En une journée de travail,
ces très riches ne peuvent acheter des biens et services aux personnes à très
haute teneur en capital humain (travail fait main…). Il leur faut maintenir
l’échangisme spécifique à la rareté technologique, pour cela ils nous forcent à
l’échange afin de prélever cette plus-value génératrice de profits.
La
nature même de l’argent remet radicalement en question tout ce qui relève de la
sphère financière et bancaire. L’argent libéré de son support matériel n’est
que données comptables relevant du savoir immatériel.
De
la centralité de la Terre à la centralité de l’argent, d’une croyance
fausse à une autre: les plus grands scientifiques et chercheurs de notre temps
acceptent l’existence de problèmes financiers qui ne relèvent pourtant, non pas d’une
dette, mais d’un vulgaire racket.
Il faudra bien se rendre à l’évidence que la production intellectuelle met à bas le fondement même de la science économique : la rareté.
Il faudra bien se rendre à l’évidence que la production intellectuelle met à bas le fondement même de la science économique : la rareté.
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