jeudi 28 février 2013

L’éducation populaire du salariat au travail libéré




L’éducation populaire du salariat au travail libéré

                                                                                                               par Alain Vidal





Dans la revue Résonnances de janvier 2011, l’éducation populaire est présentée comme « une résistance à la marchandisation », « une construction collective de savoirs et de pratiques dans un but d’émancipation individuelle et de transformation sociale. »
Ces deux mots clés, marchandisation, émancipation, auxquels j’adhère, appelle une question: quelle émancipation sans résistance à un salariat qui s’est construit dans le développement d’un marché du travail qui définit  l’homme comme une marchandise ?
 Sur le marché du travail, de l’ouvrier au cadre, chacun, dans l’entretien d’embauche, tente de vendre une force de travail à l’employeur.
Le salariat est régi par le Code du Travail qui définit très exactement le contrat salarié comme un rapport de subordination du salarié envers l’employeur :
« En droit du travail, le lien de subordination caractérise le contrat de travail. Pour la Cour de cassation, le lien de subordination se manifeste par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et  le devoir d’appliquer les dispositions énoncées par le droit du travail et de sanctionner les manquements de son subordonné » 
Quelle émancipation attendre d’un Etat, qui, prétendant garantir les droits fondamentaux (Constitution de 1958), subordonne ces mêmes droits aux intérêts privés des actionnaires. Un Etat qui collabore ouvertement à la course au profit en organisant, par Pôle emploi interposé, la vente et l’achat de forces humaines de travail.
Santé, Ecole, Culture… tous nos droits sont subordonnés à un revenu qui,  pour 92% des actifs, dépend d’un travail salarié…
Toute résistance à la marchandisation exige nécessairement une remise en question du salariat. Sauf à revenir à l’esclavage ou au servage, sans le salariat, pas de marchandisation. Sans travail salarié, pas de prédactionnaires, mais un peuple de producteurs librement associés  dans la démocratie économique, seule garante de nos droits fondamentaux. L’éducation populaire se doit d’afficher clairement son objectif, le passage du travail salarié au travail émancipé. C’est ce que proposaient nos aînés de l’Education populaire à la charnière du XIXème et du XXème siècle.
Mais depuis plus de cent ans, cette revendication a été étouffée par des syndicats, partis et mouvement associatifs réformistes, indignés par les effets du capitalisme, mais résignés sur les causes. Un peuple figé dans le salariat n’a aucun pouvoir pour faire respecter les droits fondamentaux.
Un peuple salarié revendique mais ne décide pas. Sous l’influence du mouvement réformiste, le droit de revendiquer finit par être assimilé au concept de liberté, et la démocratie au droit de manifester…
Le minimum de droits est accordé pour éviter prise de conscience et mobilisation populaires vers un dépassement du capitalisme, pour éviter que le peuple producteur ne devienne souverain dans tous les domaines.
Un peuple salarié n’est pas un peuple émancipé, il est entièrement subordonné aux intérêts privés des grands actionnaires qui gouvernent toutes les productions dont dépendent nos droits fondamentaux.
Le conseil des ministres ne fait qu’appliquer les décisions des grands conseils d’administration du CAC 40 et du MEDEF. Le gouvernement ne contrôle pas les marchés mais l’inverse. Quand un chef d’état va à l’étranger, il n’emmène pas avec lui une délégation de salariés ou de chômeurs en lutte, pour tisser des liens avec leurs camarades étrangers, non, l’avion présidentiel est bourré de grands actionnaires qui espèrent  signer des contrats au nom de leurs intérêts privés.
Tout cela renvoie au concept de marchandise et à la valeur invisible qui la caractérise côté actionnaire, je veux dire la quantité de travail humain nécessaire à sa production.
Autre expression clé « Lire le monde ». Lire  la marchandisation du monde, c’est lire la marchandise, c’est comprendre que le vendeur ne vend pas un objet plus ou moins long, plus ou moins lourd, plus ou moins beau, plus ou moins utile…le vendeur ne vend que le temps de travail salarié cristallisé dans le produit qu’il échange par monnaie interposée contre une autre quantité équivalente de travail salarié donné par l’acheteur.
Ce premier constat pose d’emblée la contradiction d’un capitalisme que nous voulons dépasser ardemment. La contradiction irréductible entre le patron qui n’est intéressé que par la  vente  de travail humain dont il tire profit, et le consommateur qui achète un produit pour son usage, pour son attrait esthétique etc…
D’un côté, le peuple qui veut des objets durables et réparables, de l’autre, des actionnaires qui vendent des objets de plus en plus rapidement jetables, par obsolescence programmée. C’est l’opposition irréductible entre la valeur d’échange et la valeur d’usage.
L’intérêt du peuple, c’est Athènes sans les esclaves…Plus précisément, Athènes avec ces nouveaux esclaves que sont les machines et les robots. Pour que le temps des hommes ainsi économisé soit déversé massivement dans les services publics et non dans des productions de biens et de services à l’usage exclusif des plus riches.  
Contradiction irréductible entre prédateur et producteur, entre ceux accordant la priorité absolue au profit pour se distinguer par le luxe, et ceux  accordant la priorité absolue au progrès social en fonction du niveau technologique.
« Lire le monde », c’est « s’éduquer pour acquérir la science de son malheur » formule chère à Pelloutier, grand animateur des  bourses du travail.
 Science du malheur, science des heures mal utilisées, gaspillées au service de prédateurs, heures mal utilisées, sous forme de tribut, à travailler gratuitement pour l’enrichissement par l’appauvrissement du temps populaire. Chaque heure gaspillée ainsi est une heure perdue pour l’instruction, la production des biens vitaux, en un mot pour l’intérêt général.
« S’éduquer pour acquérir la science de son malheur », la transmettre, pour décortiquer, remettre en question les idées reçues à l’Ecole de Jules Ferry depuis plus de 130 ans. L’Ecole de Jules Ferry, cette école de la soumission au profit.
On retrouve là, l’opposition irréductible entre la leçon de Condorcet, l’instruction du peuple pour son émancipation et celle de Jules Ferry, l’éduquer, le conduire vers le consentement au travail salarié. L’instruction du peuple pour le peuple revendiquée par la Commune en opposition radicale à l’éducation du peuple pour les besoins de la bourgeoisie.
« Lire le monde », pour comprendre que le rapport aux gens est un rapport au temps, un rapport au temps de travail salarié exigé pour l’obtention d’un revenu qui donne accès à plus ou moins de droits.
Rapport aux gens, rapport donc à l’argent créé par les banquiers pour mesurer le temps cristallisé dans les marchandises. Du marché aux esclaves au marché du travail salarié, qu’on soit vendu ou qu’on soit éduqué à se vendre, la  vente et l’achat de forces humaines de travail pour le profit est la préoccupation première du pouvoir politico-bancaire.
Quel espoir d’émancipation dans la subordination qui fonde le rapport du salarié à l’employeur quand on sait qu’on ne devient  émancipé qu’en quittant les oripeaux du « mancipare » (en latin, celui qui se vend pour vivre) ?
« Faire éducation populaire », c’est distinguer les différents statuts du travail productif, du producteur librement associé au salarié, en passant par l’esclave et le serf. C’est, expliquer inlassablement  « l’emploi » qui contraint l’employé à ployer devant l’employeur…
C’est montrer comment une grande association qui militait pour l’éducation du peuple, (la Ligue de l’Enseignement) a fini par applaudir aux lois de Jules Ferry sur « l’éducation », s’alignant ainsi sur l’idéologie du fossoyeur de la Commune.
Un Jules Ferry déclarant huit ans après la Semaine sanglante, à l’époque où il préparait les lois sur l’Ecole, dite publique :
« Il est à craindre que d'autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d'ouvriers et de paysans, où l'on enseignera des principes totalement opposés, inspirés peut-être d'un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre [la Commune]… comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871… Il y a deux choses dans lesquelles l’Etat enseignant et surveillant ne peut pas être indifférent, c’est la morale et la politique, car en morale et en politique l’Etat est chez lui.»
L’Etat fera ainsi de la politique à l’Ecole, sans contre-pouvoir, en imposant hier comme aujourd’hui, un enseignement de  l’histoire hagiographique qui relève du roman national : le roman des vainqueurs de la Commune.
L’Etat est tellement bien chez lui, que, l’enseignement de l’histoire et de la philosophie délivré aux enseignants d’hier et d’aujourd’hui, servira et sert encore de courroie de transmission à une morale proclamée universelle, mais qui ne tend qu’à préserver les intérêts de la bourgeoisie au pouvoir.
Jules Ferry a jeté les bases d’un catéchisme républicain laïc encensé encore aujourd’hui par la quasi-totalité de l’échiquier politique. Tout écart, tout rééquilibrage critique de cette conception de la morale et de l’histoire sont  considérés comme une atteinte à la neutralité de la fonction publique, comme un manquement à l’obligation de réserve…
 Combien ont élevé  la voix tel un Célestin Freinet ?
L’Education populaire pour « le vivre ensemble », bien sûr, mais pour dépasser  un arsenal juridique, pour dépasser des institutions, qui autorisent une minorité de prédateurs à exploiter le peuple producteur. Non seulement l’exploitation, mais aussi, et de façon croissante, l’exclusion pure et simple, au nom des faillites que les actionnaires provoquent chez leurs concurrents pour s’emparer de nouveaux consommateurs.
Le droit n’est pas la liberté. La liberté, c’est le droit de produire en fonction de l’intérêt général, dans le respect des intérêts privés de chacun  et de celui de la terre nourricière.
                                                                                          à propos de l’Ecole de Jules Ferry:   http://alain-vidal.blogspot.fr/


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jeudi 7 février 2013

Le capitaliste, l'aigle qui réfléchit


Le capitaliste, 
l'aigle qui réfléchit

   Dans l'esprit du capitalisme, l'esprit d'une prédation bien conçue, l'élevage de mouton doit à la fois, permettre au berger d'en vivre et à l'aigle d'en profiter. 
Si  l'aigle est trop gourmand et vole tous les moutons, le berger  et l'aigle risquent de mourir de faim. Par contre, si le berger empêche l'aigle de profiter de son travail, c'en est fini pour le prédateur, mais  le producteur vivra dans la prospérité. 
   Le capitaliste par définition accapare du capital, c'est à dire une part de travail  effectuées par les producteurs et contenue dans les productions. 
     Mais le capitaliste ne doit pas être trop gourmand, il se  doit d'abandonner une partie de cette production sous forme de salaire, pour que les producteurs continuent de vivre pour travailler.
    Ce capital, sous forme de monnaie, lui permettra d'acheter des produits de luxe. 

Toute marchandise ne contenant pas une quantité suffisante de travail humain sera interdite de production
        Le  capitaliste préfère qu'une population soit décimée  par la famine plutôt que de la laisser produire sans en tirer profit. Combien de puits et de rivières empoisonnées, combien de terres incendiées, pour soumettre à la loi du profit des populations vivant en autarcie. Comment un prédateur peut-il accepter que des gens vivent sans pouvoir en tirer profit, il préfère se constituer un réservoir de chômeurs qu'il fera travailler le jour venu. L'autonomie est la pire ennemie des capitalistes .
    Toute marchandise ne rapportant pas un profit correspondant à 40% du travail effectué par les salariés ne sera pas produite.
   Avec ces 40%, les GA assurent les revenus de ceux qui produisent les biens et services de luxe.  [voir l'article: http://liberonslamonnaie.blogspot.f  r/2013/01/70-de-prelevements-avant-le-salaire-net.html ]
   Pour un prédactionnaire, en aucun cas le progrès technologique ne doit servir à déverser le temps libéré (par la technologie) dans les services publics et les loisirs: ce temps libéré sera celui de nouvelles productions rentables (mêmes inutiles ou dangereuses),  ou celui du chômage...
 La guerre entre grands actionnaires fait rage à coup de gains de productivité afin de mettre en faillite les concurrents:
   à la clé, pour les salariés, chômage, perte de revenus, recul des droits fondamentaux,  mais peu importe, c'est le prix à payer pour progresser dans le classement des plus fortunés. 

     Le remplacement des hommes par les machines, par les robots, n'a qu'un seul but: l'accès au luxe au détriment de l'intérêt général, au détriment du développement des services publics.
    Ces gens à l'ego sur dimensionné, ce qu'ils désirent au delà du confort, avant tout  c'est se distinguer par un mode de vie inaccessible aux communs des mortels, comme ces enfants qui accumulent des jouets dont ils ne se servent pas mais qu'ils peuvent exhiber à ceux qui n'en n'ont pas comme marque de supériorité. 
Qu'est-ce qu'un riche s'il ne fait pas envie?
   
La distinction par l'accumulation de l'unique (ce que l'autre n'a pas). 
    Deux caractéristiques de l'unique, le temps de travail humain qu'il cristallise, et la marque de fabrique, la griffe.
     Le temps contenu dans l'objet, c'est ce qui différencie l'article de série du fait main. L'article de série, même beau, utile, agréable, le riche le rejette, ce serait se commettre que de jouir d'un environnement accessible à tous. Ce serait déroger que d'utiliser un objet qui n'a demandé qu'un temps infime de travail humain.
    Le raffiné, c'est ce qui est rare. 
  Le vulgaire, c'est ce qui est abondant, qu'importe que l'abondant soit de grande qualité. Qu'importe que l'abondant  nous permette d'utiliser le temps libéré pour  accroître le niveau des services publics.