lundi 13 janvier 2014

Hollande, pour un capitalisme dur depuis 30 ans

 Hollande, pour un capitalisme dur depuis 30 ans
La Sainte Famille
Thatcher, Bush, Reagan, Gonzalez, Friedman, 
et...Hollande

EXCLUSIF. Hollande, le libéral masqué

Dans "la Caste cannibale", les journalistes Sophie Coignard et Romain Gubert dénoncent les excès d'un capitalisme devenu fou... et le zèle des convertis de la gauche française. Extraits.


En 1992, Jouyet, Le Drian et Hollande encadrent Jacques Delors, champion de la social-démocratie moderne. (José Nicolas-Sipa)
En 1992, Jouyet, Le Drian et Hollande encadrent Jacques Delors, champion de la social-démocratie moderne. (José Nicolas-Sipa)

Les journalistes du "Point" Sophie Coignard et Romain Gubert ne sont pas des idéologues. Mais d’impitoyables observateurs des mœurs des puissants. Après avoir commis le best-seller "l’Oligarchie des incapables", les voilà traquant les excès de la "religion néolibérale" pratiquée par une "caste" devenue "cannibale".
Inventé au tournant des années 1970 à l’université de Chicago, le dogme du père fondateur Milton Friedman – revenir au credo de la libre entreprise – a connu un succès planétaire. 
Au point de renverser le paradigme dominant du keynésianisme et de l’Etat-providence chez les sociaux-démocrates européens. Dans ce culte, la gauche française de Jacques Delors à Pierre Bérégovoy en passant par François Hollande s’est souvent illustrée. Les vœux du président de la République en faveur d’un allègement tous azimuts des charges patronales, de la dépense publique et de la fiscalité ne font que le confirmer. Gare à la magie du dogme.
Extraits exclusifs de "la Caste cannibale" (Albin Michel, 2014)
Avenue de Friedland, près de l'Arc de Triomphe, au siège de la Barclays, dans une salle de réunion anonyme. ] [Philippe Lagayette] le vice-chairman de la banque d'investissement pour la France, est l'un des financiers les plus connus et les plus consultés de la place.
 Que pense ce grand banquier de la situation du pays ? Les retraites ? "C'est comme quelqu'un qui gagne le smic et qui s'achèterait une Porsche. Il faudra bien financer la voiture de sport un jour."
 Les politiques de relance des Etats après la crise de 2008 ? "Aujourd'hui, parce que ça va mal, certains en reviennent au keynésianisme et à sa vision simpliste. Ils pensent encore que la croissance vient de la demande..." [ ...] Les inégalités ? "Elles sont inévitables en période de prospérité. Il y a un danger à ne pas admettre cela." [ ...
Ce grand banquier est-il affilié à l'école de Chicago pour parler de ces "inadaptés", qui sont un "boulet", et affirmer avec le sourire que les inégalités sont "inévitables", et même souhaitables ? Pas du tout, c'est un homme de gauche. Philippe Lagayette a été directeur du cabinet de Jacques Delors au ministère de l'Economie et des Finances dès 1981, dans la période des grandes avancées sociales. Puis il a été nommé par Mitterrand à des postes éminents.
 Il a ainsi été le directeur général de la Caisse des Dépôts, le bras financier de l'Etat, entre 1992 et 1997. Il a voulu mettre le modèle économique socialiste, alors défendu par Jacques Attali et Laurent Fabius, à l'épreuve de la réalité. A l'époque, il y avait à faire : "Delors a mis fin à l'encadrement du crédit. C'était un reliquat soviétique, une vieille peau dont il fallait se débarrasser, raconte de son côté Pascal Lamy, attablé à la terrasse d'un café de Montparnasse. Il a mis en place un système d'intéressement pour les cadres mais aussi pour tous les salariés. Ce n'étaient pas des stock- options pour faire plaisir aux patrons mais l'héritage de convictions gaullistes. Tout cela, c'étaient des petites avancées dont personne ne mesurait à l'époque le symbole mais dont nous savions qu'elles remettaient le pays dans la réalité." Jeune énarque - il avait alors 34 ans -, Pascal Lamy travaillait au cabinet de Jacques Delors sous les ordres de Philippe Lagayette.

Dérégulation à la française

Il y a quelques années, l'universitaire américain Rawi Abdelal, professeur à Harvard, s'est intéressé au processus de globalisation financière durant les trois dernières décennies. Il a retrouvé des centaines de documents, rencontré des dizaines de banquiers et de hauts fonctionnaires. Il a travaillé sur les liens entre les hommes politiques américains et le monde de la finance comme sur les mouvements de capitaux transatlantiques. 
Et puis, il a fait une découverte. Contrairement à ce qu'il pensait, les bases institutionnelles de la mondialisation financière n'ont absolument pas été conçues par des idéologues américains. Ce sont au contraire des Français, des hommes proches de l'administration et de surcroît marqués à gauche, qui ont sciemment accéléré le processus.
L'universitaire a décortiqué l'action concrète de trois hommes entre 1985 et 1995 : Henri Chavranski à l'OCDE, Jacques Delors à la Commission européenne et Michel Camdessus au FMI. Avec cette conclusion : à ces postes clés, au même moment, ils ont joué un rôle considérable dans la libéralisation et la mondialisation des échanges financiers. [ ...] C'est que chacun avait une bonne raison d'accélérer la mondialisation financière. Chavranski ? Il croyait dur comme fer que le processus allait doper l'économie réelle. Delors ? A la demande des chefs d'Etat français et allemand, il devait mettre en place le plus rapidement possible la monnaie unique. Et le patron de la Commission européenne ne voyait qu'un moyen d'y parvenir : achever le "grand marché" européen.

Le passage de "Témoin

[Lagayette et Lamy] se retrouvent dès 1992 au sein du club Témoin, animé par un certain François Hollande. Cette assemblée de jeunes technocrates veut installer Jacques Delors à l'Elysée lors de la présidentielle de 1995. [ ...]
Patron de la Commission européenne, il est déjà un homme d'Etat. Dans les sommets, il discute avec Thatcher, Reagan et Kohl. Venu du syndicalisme, il est le seul à pouvoir faire cette révolution libérale dont la France a besoin, à rompre avec le keynésianisme sans brusquer la société. Avec la monnaie unique qu'il est en train de concevoir à la demande de Mitterrand et de Kohl, il se situe au-dessus de la mêlée. Outre Hollande, Lamy et Lagayette, on trouve notamment dans ce cénacle Ségolène Royal, Jean-Yves Le Drian, l'avocat Jean-Pierre Mignard, ainsi que Jean-Pierre Jouyet et Jean-Jacques Augier, deux anciens de la promotion Voltaire qui sont aussi des intimes du futur président.
[ ...] Ils lancent la revue des clubs Témoin.
 Le concept permet d'"inviter" des experts qui n'auraient jamais eu leur place au PS. Et à certains d'exprimer des idées qu'ils ne peuvent défendre au sein du Parti socialiste. 
Un exemple ? François Hollande et la dette publique. En juin 1994, alors qu'il a perdu son siège de député et que Pierre Bérégovoy a laissé des déficits publics abyssaux, Hollande mène la charge et s'autorise une transgression inouïe pour l'époque : "Le risque, avec la drogue, c'est l'accoutumance. Il en est de même pour l'endettement. A petites doses, c'est sinon raisonnable, du moins supportable. A grosses louches, le besoin n'est jamais satisfait." Ce n'est d'ailleurs pas une première chez lui. Lorsqu'il écrivait des billets économiques dans "le Matin de Paris" à la fin des années 1980, il s'était déjà autorisé quelques phrases intéressantes. 
Il avouait préférer "la social-démocratie d'après crise" à "l'Etat-providence de la prospérité", clamait que "le système français ne diffère plus du modèle américain ou britannique" et défendait l'idée que "la contrainte extérieure décide de tout" et que "la politique économique est désormais l'art d'accommoder les restes".

Vengeance de la finance

Karine Berger est une jeune polytechnicienne qui se passionne justement pour l'économie. Elle a, apparemment, des idées bien arrêtées. Pendant la campagne, elle n'avait pas de mots assez durs pour les banquiers cupides. Un bon "coup de ciseaux" devait sans délai départager le bon grain de l'ivraie. Dans la journée, Mme Berger travaillait comme économiste chez Euler Hermes. Mais le soir, Karine fustigeait sur son blog et dans les réunions du PS les dérives financières. [ ...] Quand, lors de son premier grand meeting, au Bourget, en janvier 2012, François Hollande a déclaré : "Mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance", c'était elle qui était derrière.
En juin 2012, Karine Berger a été élue à l'Assemblée. Elle a aussi décroché le secrétariat national à l'économie au PS. Elle a surtout été désignée rapporteur du projet de loi phare de Hollande, celui qui devait séparer les banques de dépôt et les banques d'investissement. Et mettre fin aux excès de la finance-casino. Son objectif : "Imposer aux banquiers la réforme structurelle dont ils ne veulent pas." Ceux-ci ont eu - un peu peur pendant quelques mois. Mais ils ont vite actionné tous leurs réseaux d'influence.
 Les amis, les anciens du ministère ont murmuré à l'oreille des grands directeurs de Bercy. 
En quelques mois, ils ont réussi à convaincre Pierre Moscovici que l' essentiel de leurs activités - les produits dérivés, la spéculation sur les dettes souveraines, etc. - étaient "utiles à l'économie" et donc ne devaient pas se retrouver dans le champ de la loi. [...] Karine Berger, elle, n'a rien vu venir, comme en témoigne son dialogue [lors d'une audition de la commission des Finances], avec Frédéric Oudéa, le patron de la Société générale : Karine Berger : "Je suis un peu étonnée, j'ai l'impression que vous n'êtes pas spécialement gênés par cette loi."
Frédéric Oudéa : "La loi représente entre 3 et 5% de nos activités de BFI [banque de financement et d'investissement], qui représentent elles-mêmes 15% des revenus totaux de la banque. - Alors cela veut dire que 99% de vos activités ne seront pas concernées par la loi ? - Ce sera au superviseur d'en décider, moi je n'en sais rien." Cet échange a-t-il convaincu Karine Berger de refaire entièrement son texte ? Pas du tout.
Depuis, la députée socialiste se cache-t-elle au fond de son lit ? Au contraire ! Elle donne interview sur interview pour expliquer que cette loi bancaire est formidable et va changer le monde.

Autodiscipline patronale

Pendant la campagne, le candidat Hollande avait annoncé un encadrement des rémunérations patronales. Il était scandalisé par les salaires excessifs, les stock-options et les retraites-chapeau, qui tombent les mauvaises années comme les bonnes. Une fois élu, qu'a-t-il fait ? Une loi ? Un décret ? Rien du tout.
 Il a laissé son ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, s'arranger avec les gourmands du CAC 40. Il a même pris soin d'annoncer la nouvelle dans un joli communiqué : "Il n'y aura pas de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises." Ah bon ! "Cela ne signifie en rien que le gouvernement renonce à ses ambitions en matière de limitation des rémunérations excessives." Bien sûr que non ! "La méthode retenue, mieux adaptée dans un environnement international en constante évolution, est bien celle d'un dialogue approfondi, dans le cadre duquel la présidente du Medef, Mme Laurence Parisot, et le président de l'Afep [l'Association française des entreprises privées], M. Pierre Pringuet, se sont engagés à présenter un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance." On est sauvés ! [ ...]
Le code de gouvernance adopté par le Medef et l'Afep début 2013 prévoit un vote consultatif - donc sans conséquence des actionnaires en assemblée générale, organise la mise en place d'un comité de suivi, et recommande la présence d'administrateurs salariés dans les comités, notamment de rémunération. On est assez loin de la prise du palais d'Hiver en 1917.[...]




vendredi 10 janvier 2014

Du droit du plus fort



Du droit du plus fort

"Le plus fort n'est jamais assez fort 
pour être toujours le maître, 
s'il ne transforme sa force en droit 
et l'obéissance en devoir."

  Rousseau, 
  
      Du contrat social, 1762