mardi 20 août 2013

Egypte, les généraux défendent leurs fortunes

Egypte, les généraux défendent leurs fortunes

Le poids économique de l'armée égyptienne

L'armée a destitué le président élu Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans. 
Elle est, depuis le renversement de Farouk Ier en 1952, un acteur clé de la vie politique égyptienne. Mais elle joue aussi un rôle prépondérant dans la vie économique du pays. Quel est son poids, dans quels secteurs est-elle active ? 
Quels sont les problèmes que cela soulève ? 
Son implication économique a-t-elle eu une influence sur le renversement de Morsi ? Autant de questions auxquelles a bien voulu répondre Akram Belkaïd. Il est journaliste et auteur notamment d'"Etre arabe aujourd'hui" paru chez Carnets Nord en 2011. Une interview menée pour ARTE Journal par Manuel Dantas.


ARTE Journal : Quel est le poids actuel de l'armée égyptienne dans l'économie du pays et dans quels secteurs est-elle impliquée ?



Akram Belkaïd : "L'armée pèse entre 25% et 30% du PIB. Alors cela représente beaucoup de chose, ce sont des avoirs et des activités économiques très hétéroclites. L'armée est présente dans plusieurs activités. Cela va de l'activité agroalimentaire, la boulangerie industrielle à l'hôtellerie mais c'est aussi un embryon d'industrie de défense, de l'armement. 
C'est un véritable acteur économique qui crée de la richesse, qui consomme des ressources, qui paie des salaires et donc c'est une dimension qu'on a tendance à oublier quand on établie des analyses sur l'Egypte.
 L'armée n'est pas qu'un acteur politique, c'est également un acteur économique."



Comment fonctionne ce système, comment l'armée est-t-elle parvenue à diriger tout un pan de l'économie ?

Akram Belkaïd : "Il faut bien savoir que l'armée est indissociable de la construction de l'Egypte moderne. C'est-à-dire à une période qui remonte au début du XXème siècle, c'est-à-dire que la modernisation de l'Egypte s'est faite aussi par le développement d'une armée professionnelle moderne, modernisée au fil des années.et donc depuis le début des années 1950, depuis le coup d'état de Nasser, l'armée par son budget a acquis des activités qui étaient d'abord destinées à son propre fonctionnement et qui peu à peu se sont étendues à la sphère nationale. 
Ca vaut par exemple pour les industries agroalimentaires ou même certains investissements réalisés par l'armée, via ses caisses, via ses œuvres sociales, via son budget dans le domaine du tourisme par exemple. Ce qui fait qu'on a une activité économique multiforme, soit qui est des investissements directs, soit qui est un financement par le biais du budget de l'armée, soit qui est une ligne budgétaire supplémentaire en terme d'activité. Faire tourner une usine par exemple ou recruter des gens pour faire fonctionner une boulangerie industrielle. Ce qui donne à l'armée une palette économique assez large et variée."

Un certain nombre de généraux à la retraite sont à la tête de ces sociétés qui semblent aussi être gangrénées par une certaine forme de corruption, confirmez-vous cette situation ?

Akram Belkaïd : "Ce n'est pas vraiment de la corruption, c'est plutôt du clientélisme parce que ce sont des activités de l'armée, cela permet à certains dirigeants, à certains officiers supérieurs ou même à des officiers intermédiaires de trouver un point de chute au moment où ils vont prendre leur retraite. C'est une garantie d'emploi après la retraite qui peut intervenir de manière rapide parce que certains militaires sont retraités après la cinquantaine. 
Au bout de 25 ans de service, ils peuvent réclamer leur droit à la retraite, donc ça leur permet d'entamer une nouvelle vie professionnelle dans ces secteurs là sans avoir à démarcher les secteurs civils. 
Donc c'est plutôt une manière de garantir à ses propres hommes, ses propres troupes, en tous cas à ses officiers, la perspective d'une reconversion facilitée ce qui n'est pas le cas dans d'autres secteurs, bien entendu. C'est une manière aussi d'entretenir un quant-à-soi social aussi puisque l'armée dispose de facilités, de gymnases, de clubs sportifs, de restaurants, d'endroits de convivialité destinés à son propre personnel et à ses retraités qui font que l'ordinaire, le quotidien d'un officier supérieur ou d'un officier égyptien est tout de même meilleur que celui d'un cadre ou d'un haut-fonctionnaire dans le public ou dans l'appareil d'Etat égyptien.

N'y a-t-il pas des appelés qui travaillent dans les entreprises de l'armée, dans ses fermes au lieu de faire de la préparation militaire ?

Akram Belkaïd : "Cela arrive, ça existe, mais c'est rare parce que l'armée égyptienne ne néglige pas l'impact social que ces activités. Alors la frontière n'est jamais  claire entre un appelé employé par l'armée (ndlr, pour une activité militaire) et un appelé employé pour l'activité économique de l'armée. Mais ce n'est pas un domaine qui prête à polémique sur place parce que de toute façon les activités économiques sont aussi dédiées aux autres Egyptiens.
 Donc l'armée peut s'en sortir en disant : " de toute façon, ce sont des gens qui travaillent pour le peuple égyptien". Si je prends le cas des boulangeries industrielles, qui permettent d'apaiser les tensions quand le pain augmente, qui est un aliment indispensable dans la vie des Egyptiens. Ceux qui sont employés dans ces boulangeries-là sont des civils contractuels. Parfois ce sont des appelés, mais in fine cela permet à l'armée d'alimenter à la fois ses propres troupes mais aussi de réguler les tensions sociales quand on a des problèmes d'approvisionnement par ailleurs. On l'a bien vu. Ca a été beaucoup utilisé par exemple en 2008 quand on a eu la crise sociale annonciatrice d'ailleurs du départ de Moubarak."

Ces officiers supérieurs n'ont pas forcément été formés pour gérer des entreprises, cela ne pose-t-il pas des problèmes ?

Akram Belkaïd : "Ce n'est pas toujours des militaires qui font tourner ces entreprises, ils recrutent des civils. Ce n'est pas toute l'armée qui fait du business, il faut le préciser. Deuxièmement, on n'est pas dans un contexte économique de type libéral concurrentiel, on est dans un pays plus ou moins protégé économiquement où l'armée dans ses activités économiques ou d'investisseur ou de prise de participations est un acteur plus ou moins protégé par rapport à la concurrence étrangère et même locale.

Sous le régime Moubarak, on a prêté à son fils Gamal l'intention de privatiser certaines parties de l'économie égyptienne au risque de menacer la mainmise de l'armée sur certains secteurs. Cette volonté n'a-t-elle pas inquiété l'armée ? Et la mauvaise santé actuelle de l'économie égyptienne n'a-t-elle pas incité l'armée à intervenir pour ménager ses avoirs ?

Akram Belkaïd : "C'est vrai que l'une des erreurs du clan Moubarak a été de vouloir s'attaquer, d'une manière plus ou moins déguisée, à des monopoles qui relevaient soit de l'armée, soit de la clientèle militaire. Mais je pense surtout que la grande erreur a été de vouloir faire en sorte de préparer la succession de Moubarak pour son fils, ce qui aurait rompu la tradition habituelle qui est que c'est un militaire qui succède à un militaire. 
C'est vrai que le fils Moubarak avait de gros appétits, qu'il était entouré de beaucoup d'hommes d'affaires qui espéraient un jour ou l'autre mettre la main soir sur les biens publics privatisés, soit un désengagement de l'armée qui aurait vendu ses actifs à des hommes d'affaires. L'idée était dans l'air. Et ça a beaucoup joué à la destitution du père et à la mise à l'écart des deux fils.
Sur l'état actuel de l'économie, moi je pense que les difficultés sont une constante de la vie économique égyptienne, même si dans les années 1980 on a pu lire des rapports élogieux, on sait très bien que ce n'était pas le cas parce que le problème social a toujours été présent, comme en témoigne la crise de 2005 et de 2008. Non je pense que c'est vraiment un problème politique qui a pesé. 
Personne ne parlait d'économie jusqu'à présent en Egypte même si tout le monde faisait le constat d'une situation difficile. Morsi a payé le prix de sa volonté de s'émanciper trop vite et de manière trop radicale vis à vis du pouvoir militaire d'une part. Et deuxièmement, il paye son impopularité par rapport à la plus grande partie de la population. Je ne crois pas que l'armée soit intervenue et c'est ce qu'elle dit aujourd'hui en disant : "il faut remettre de l'ordre dans le pays, attirer les investisseurs étrangers, etc." Mais bon, c'est quand même un coup d'Etat contre un président légitimement élu. On en pense ce que l'on en veut de ce Monsieur et du courant qu'il représente, mais je ne suis pas sûr que ce soit aussi fait pour rassurer les investisseurs. Là, l'Egypte va rentrer dans une période d'incertitude au moins jusqu'à la prochaine élection présidentielle si jamais elle doit avoir lieu."




Akram Belkaïd est né en 1964 à Alger, de mère tunisienne et de père algérien. Journaliste et essayiste, il écrit notamment pour Le Quotidien d’Oran, Le Monde diplomatique, Afrique magazine et Maghreb Émergent ou Slate.fr.
Il est déjà l’auteur d’Être arabe aujourd’hui (Carnets Nord, 2011), mais aussi de La France vue par un blédard (éditions du Cygne, 2012), Un regard calme sur l’Algérie (Le Seuil, 2005) et À la rencontre du Maghreb (La Découverte / IMA, 2001) mais aussi de Retours en Algérie qui vient de sortir en mai 2013 chez Carnets Nord.


lundi 12 août 2013

La banque Morgan prescrit la dictature en Europe


La banque Morgan prescrit la dictature en Europe


         "En mars de cette année, une commission du sénat américain a rendu public un rapport de 300 pages documentant les pratiques criminelles et la fraude réalisées par JPMorgan, la plus grande banque des Etats-Unis et le plus grand agent de produits dérivés du monde... 
         En dépit des révélations détaillées dans le rapport, aucune action ne sera prise à l’encontre du PDG de la banque, Jamie Dimon, qui jouit de la confiance personnelle du président américain...
       Cette même banque se permet à présent de faire la leçon aux gouvernements.    Soixante-dix ans après la prise de pouvoir par Hitler et les nazis en Allemagne, dont les conséquences furent catastrophiques pour l’Europe et le monde, JPMorgan est le premier à réclamer des mesures autoritaires pour réprimer la classe ouvrière et éradiquer ses acquis sociaux."
l'article sur Mediapart
par  Koszayr
Attention danger, selon Stefan Steinberg  dans un billet du World Socialist Web Site, la banque américaine appelle purement et simplement à l'avènement de la dictature en Europe.
JPMorgan réclame des régimes autoritaires en Europe Par Stefan Steinberg
19 juin 2013
Dans un document publié à la fin du mois de mai, le géant des banques d’investissement américain JPMorgan Chase réclame l’abrogation des constitutions démocratiques bourgeoises établies après la Seconde Guerre mondiale dans une série de pays européens et la mise en place de régimes autoritaires.
Le document de 16 pages a été réalisé par le groupe Europe Economic Research de JPMorgan et est intitulé « L’ajustement de la zone euro – bilan à mi-parcours. » Le document commence par faire remarquer que la crise de la zone euro a deux dimensions.
Pour commencer, il affirme que des mesures financières sont nécessaires pour garantir que les principales institutions d’investissement comme JPMorgan puissent continuer à engranger d’énormes bénéfices de leurs activités spéculatives en Europe. Ensuite, les auteurs soutiennent qu’il est nécessaire d’imposer des « réformes politiques » destinées à supprimer l’opposition aux mesures d’austérité massivement impopulaires qui sont appliquées au nom des banques.
Le rapport exprime sa satisfaction vis à vis de l’application par l’Union européenne d’un certain nombre de mécanismes financiers visant à garantir les intérêts bancaires. A cet égard, l’étude souligne que la réforme de la zone euro en est pratiquement à mi-chemin. Mais le rapport réclame aussi davantage d’action de la part de la Banque centrale européenne (BCE).
Depuis l’éruption de la crise financière mondiale de 2008, la BCE débloque des milliers de milliards d’euros en faveur des banques pour leur permettre d’effacer leurs créances douteuses et de redémarrer une nouvelle série de spéculations. En dépit d’une pression grandissante venant des marchés financiers, le chef de la BCE, Mario Draghi a déclaré l’été dernier qu’il ferait le nécessaire pour consolider les banques.
En ce qui concerne les analystes de JPMorgan, ceci n’est cependant pas suffisant. Ils exigent de la part de la BCE une « réponse plus spectaculaire » à la crise.
Les critiques les plus dures du document sont cependant formulées à l’égard des gouvernements nationaux qui ont mis bien trop de temps à appliquer le genre de mesures autoritaires nécessaires à l’imposition de l’austérité. Le processus d’une telle « réforme politique » précise l’étude, a « même à peine commencé. »
Vers la fin du document, les auteurs expliquent ce qu’ils entendent par « réforme politique. » Ils écrivent : « Au début de la crise l’on avait pensé que ces problèmes nationaux hérités du passé étaient en grande partie d’ordre économique, » mais « il est devenu manifeste qu’il y a des problèmes politiques profondément enracinés dans la périphérie qui, à notre avis, doivent être changés si l’Union monétaire européenne (UME) est censée fonctionner à long terme. »
Le document détaille ensuite les problèmes existant dans les systèmes politiques des pays de la périphérie de l’Union européenne – la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie – qui sont au centre de la crise de l’endettement en Europe.
Les auteurs écrivent: « Les systèmes politiques de la périphérie ont été établis après une dictature et ont été définis par cette expérience-là. Les constitutions ont tendance à montrer une forte influence socialiste, reflétant la force politique que les partis de gauche ont acquise après la défaite du fascisme. »
« Les systèmes politiques autour de la périphérie affichent de manière typique les caractéristiques suivantes : des dirigeants faibles ; des Etats centraux faibles par rapport aux régions ; une protection constitutionnelle des droits des travailleurs ; des systèmes recherchant le consensus et qui encouragent le clientélisme politique ; et le droit de protester si des modifications peu appréciées sont apportées au statu quo politique. Les lacunes de cet héritage politique ont été révélées par la crise. » 

Quelles que soient les inexactitudes historiques contenues dans leur analyse, il ne peut y avoir l’ombre d’un doute que les auteurs du rapport de JPMorgan plaident pour que les gouvernements adoptent des pouvoirs de type dictatorial afin de mener à bien le processus de contre-révolution sociale qui est déjà bien avancé à travers toute l’Europe.
En réalité, il n’y avait rien de véritablement socialiste dans les constitutions établies durant la période d’après-guerre partout en Europe. De telles constitutions visaient à garantir le régime bourgeois dans une situation où le système capitaliste et ses agents politiques avaient été totalement compromis par les crimes des régimes fascistes et dictatoriaux.
Les constitutions des Etats européens, y compris celles de l’Italie, de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal, ont été élaborées et appliquées en collaboration avec les partis socialistes et communistes des pays respectifs et qui ont joué le rôle clé dans la démobilisation de la classe ouvrière pour permettre à la bourgeoisie de maintenir son régime.
Dans le même temps cependant les classes dirigeantes discréditées de l’Europe étaient parfaitement conscientes que la Révolution russe demeurait une inspiration pour de nombreux travailleurs. Elles se sont senties obligées de faire une série de concessions à la classe ouvrière dans le but d'empêcher une révolution – sous la forme précisément de protections sociales et constitutionnelles, dont le droit de manifester, ce que JPMorgan aimerait à présent voir aboli.
Dans une certaine mesure, les critiques de la banque à l’égard du manque d’autoritarisme des gouvernements européens sonnent creux. Partout en Europe, les gouvernements ont à maintes reprises recouru ces dernières années à des mesures d’Etat policier pour réprimer l’opposition à l’encontre de leur politique.
En France, en Espagne et en Grèce, des décrets d’urgence et l’armée ont été utilisés pour briser des grèves. La constitution adoptée en Grèce en 1975, après la chute de la dictature des colonels, n’a pas empêché le gouvernement grec de licencier en masse des fonctionnaires. Et dans un certain nombre de pays européens, les partis dirigeants sont en train d’encourager le développement de partis néofascistes tel le mouvement Aube dorée en Grèce.
Toutefois, pour JPMorgan cela ne suffit pas. 
Afin d’éviter une révolution sociale dans la période à venir, ses analystes préviennent qu’il est indispensable que les gouvernements capitalistes partout en Europe se préparent aussi vite que possible à mettre en place des formes de régime dictatoriales.
A la fin du document, les auteurs avancent une série de scénarios qui, selon eux, pourraient découler de l’échec des gouvernements européens à ériger des systèmes autoritaires. Ces variantes comprennent : « 1) l’effondrement de plusieurs gouvernements favorables aux réformes en Europe méridionale, 2) un effondrement du soutien à l’euro ou à l’UE, 3) une victoire électorale incontestée de partis anti-européens radicaux quelque part dans la région, ou 4) l’ingouvernabilité de fait de certains Etats membres une fois que les coûts sociaux (notamment le chômage) dépasseront un certain seuil. »
C’est la voix authentique du capital financier qui parle. Il faut rappeler que JPMorgan est profondément impliqué dans les opérations spéculatives qui ont dévasté la vie de centaines de millions de travailleurs partout dans le monde. 

En mars de cette année, une commission du sénat américain a rendu public un rapport de 300 pages documentant les pratiques criminelles et la fraude réalisées par JPMorgan, la plus grande banque des Etats-Unis et le plus grand agent de produits dérivés du monde. En dépit des révélations détaillées dans le rapport, aucune action ne sera prise à l’encontre du PDG de la banque, Jamie Dimon, qui jouit de la confiance personnelle du président américain.
Cette même banque se permet à présent de faire la leçon aux gouvernements. Soixante-dix ans après la prise de pouvoir par Hitler et les nazis en Allemagne, dont les conséquences furent catastrophiques pour l’Europe et le monde, JPMorgan est le premier à réclamer des mesures autoritaires pour réprimer la classe ouvrière et éradiquer ses acquis sociaux.