lundi 20 juillet 2015

(2) Si le grand patronat m'était conté


 "La propriété fut d'abord, le butin, le trophée, 
l'attestation de la razzia victorieuse..
La prouesse d'un homme 
était essentiellement la prouesse d'un groupe [...]   

Va succéder une période ou l'industrie commence à s'organiser
 sur la base de la propriété privée[...]  
Les possessions [...] témoignent plutôt de la prédominance 
du propriétaire sur les autres individus de sa société […]
 Thorstein Veblen





            Avec cet article, le deuxième de la série Si le grand patronat m'était conté, nous allons à la rencontre d'un grand penseur des 19ème et  20ème siècle: Thorstein Veblen, économiste et sociologue américain (1857-1929). 
         Ces extraits sont tirés de son ouvrage paru en 1899, Théorie de la classe de loisir, chapitre 2, pages 20-21 (collection Tel chez Gallimard).
           Bonne lecture
            Alain Vidal 
 
             "La propriété fut d'abord, le butin, le trophée, l'attestation de la razzia victorieuse...La prouesse d'un homme était essentiellement la prouesse d'un groupe, et le possesseur du butin se sentait avant tout le gardien de l'honneur du groupe[…] Sitôt que l'habitude de la propriété individuelle prend quelque uniformité, c'est à un point de vue différent qu'on va peu à peu se placer pour procéder à cette comparaison provocante, qui est l'assise de la propriété privée […]
A la phase initiale de la propriété , ou l'acquisition se fait par simple capture, et détournement, va succéder une période ou l'industrie commence à s'organiser sur la base de la propriété privée (des esclaves); la horde se transforme en une société industrielle plus ou moins autarcique; les possessions ne s'apprécient plus autant comme preuve d'un saccage réussi ; elles témoignent plutôt de la prédominance du propriétaire sur les autres individus de sa société[…]
Dans la vie quotidienne et dans les habitudes de pensée, l'activité industrielle évincera peu à peu l'activité prédatrice ; de même la propriété accumulée remplacera progressivement le trophée comme indice classique de la prépotence et de la réussite […]
Pour serrer la question de près, disons que la propriété devient la preuve la plus facilement reconnaissable d'une estimable réussite , distincte en ceci de l'exploit héroïque ou insigne.
 C'est donc sur elle que l'estime va se fonder ordinairement. Posséder quelque chose voilà qui devient nécessaire pour jouir d'une réputation; voilà qui devient indispensable pour accumuler, pour acquérir, pour faire en sorte de maintenir un bon renom.
Une fois que les biens accumulés sont devenus le signe distinctif de la valeur, la possession des richesses s'arroge le caractère d'un fondement indépendant et définitif de l'estime."


à suivre...


lundi 13 juillet 2015

(1) Si le grand patronat m'était conté


  (1) Si le grand patronat m'était conté

"Le motif qui se trouve  à la racine de la propriété, c'est la rivalité;"

" La possession des richesses confère l'honneur: 
c'est une distinction provocante." 
                                                         Thorstein Veblen


       Avec cet article, le premier de la série Si le grand patronat m'était conté, nous irons à la rencontre d'un grand penseur des 19ème et  20ème siècle: Thorstein Veblen, économiste et sociologue américain (1857-1929). 
      Ces extraits sont tirés de son ouvrage paru en 1899, Théorie de la classe de loisir, chapitre 2, pages 19-20 (collection tel chez Gallimard).
        Bonne lecture

       Alain Vidal 

    "On tient couramment que l'acquisition et l'accumulation ont pour fin la consommation des biens accumulés: 
soit que le propriétaire des marchandises les consomme lui-même, soit qu'il les fasse consommer par sa maison, qui pour lors s'identifie théoriquement  à lui.,
      A  tout le moins, on a le sentiment que c'est là le but économique légitime de l'acquisition, le seul qu'il incombe à la théorie de prendre en considération [...]
       Or il faut entendre cette consommation de marchandises en un sens très éloigné de sa signification naïve, si l'on tient à dire qu'elle procure le stimulant dont l'accumulation procède invariablement.
Le motif qui se trouve à  la racine de la propriété, c'est la rivalité;

c'est le même qui continue d'agir dans cette institution qu'il a fait naître, et dans le déploiement de tous ces traits  de la structure sociale qui touchent à l'institution de la propriété.
La possession des richesses confère l'honneur: 
c'est une distinction provocante.
On ne saurait rien dire d'aussi convaincant sur la consommation des marchandises, ni d'aucun autre ressort de l'acquisition, ni surtout d'aucun aiguillon de l'accumulation des richesses [...]
Quand aux membres et aux clans de la société dont la grande affaire est d'accumuler la richesse, la subsistance et les commodités physiques ne leur sont pas un stimulant bien considérable. 
La propriété a pris naissance 
et s'est faite institution 
sur des bases 
qui n'ont aucun rapport 
avec le minimum vital.

Le grand aiguillon, dès le principe, 
ce fut la distinction 
qui provoque l'envie; 
c'est elle qui s'attache à la richesse et nul autre mobile, sauf exception momentanée, n'en a usurpé la primauté dans les stades ultérieurs de l'évolution."
à suivre...

        Après avoir lu ces quelques extraits, il est fort intéressant de se poser la question et de la poser autour de soi, au travail, en vacances, aux grands comme aux petits:
"la distinction qui provoque l'envie", est-elle la même pour un chef indien des grandes plaines et pour un chef d'entreprise?
 
















dimanche 5 juillet 2015

Einstein contre le profit et la concurrence capitaliste



Einstein contre le profit et la concurrence capitaliste



 
"La production est faite en vue du profit et non pour l’utilité."

 

 « Une personne qui n’a jamais commis d’erreur n’a jamais tenté d’innover. »
« Si vous ne pouvez expliquer un concept à un enfant de six ans,
c’est que vous ne le comprenez pas complètement. »
Albert Einstein




POURQUOI LE SOCIALISME ?
par Albert Einstein, 1949
     
                  
[extraits]
...L'expérience accumulée depuis le commencement de la période de l’histoire humaine soi-disant civilisée a été — comme on le sait bien — largement influencée et délimitée par des causes qui n’ont nullement un caractère exclusivement économique….

Les peuples conquérants se sont établis, légalement et économiquement, comme classe privilégiée du pays conquis. Ils se sont attribués le monopole de la terre et ont créé un corps de prêtres choisis dans leur propre rang. 
Les prêtres, qui contrôlèrent l’éducation, érigèrent la division de la société en classes en une institution permanente et créèrent un système de valeurs par lequel le peuple fut dès lors, en grande partie inconsciemment, guidé dans son comportement social. 
 

Mais la tradition historique date pour ainsi dire d’hier ;
nulle part nous n’avons dépassé
ce que Thorstein Veblen appelait
"la phase de rapine" du développement humain….
Puisque le but réel du socialisme est de dépasser la phase de rapine du développement humain et d’aller en avant, la science économique dans son état actuel peut projeter peu de lumière sur la société socialiste de l’avenir...nous ne devrions pas admettre que les spécialistes soient les seuls qui aient le droit de s’exprimer sur des questions qui touchent à l’organisation de la société…
L’anthropologie moderne nous a appris, par l’investigation des soi-disant cultures primitives, que le comportement social des êtres humains peut présenter de grandes différences, étant donné qu’il dépend des modèles de culture dominants et des types d’organisation qui prédominent dans la société. 
C’est là- dessus que doivent fonder leurs espérances tous ceux qui s’efforcent d’améliorer le sort de l’homme : les êtres humains ne sont pas, par suite de leur constitution biologique, condamnés à se détruire mutuellement ou à être à la merci d’un sort cruel qu’ils s’infligent eux-mêmes...
Je suis maintenant arrivé au point où je peux indiquer brièvement ce qui constitue pour moi l’essence de la crise de notre temps. Il s’agit du rapport entre l’individu et la société. L’individu est devenu plus conscient que jamais de sa dépendance de la société. Mais il n’éprouve pas cette dépendance comme un bien positif, comme une attache organique, comme une force protectrice, mais plutôt comme une menace pour ses droits naturels, ou même pour son existence économique.
En outre, sa position sociale est telle que les tendances égoïstes de son être sont constamment mises en avant, tandis que ses tendances sociales qui, par nature, sont plus faibles, se dégradent progressivement. 
Tous les êtres humains, quelle que soit leur position sociale, souffrent de ce processus de dégradation. Prisonniers sans le savoir de leur propre égoïsme, ils se sentent en état d’insécurité, isolés et privés de la naïve, simple et pure joie de vivre. L’homme ne peut trouver de sens à la vie, qui est brève et périlleuse, qu’en se dévouant à la société.
L’anarchie économique 
de la société capitaliste,
telle qu’elle existe aujourd’hui,
est, à mon avis, la source réelle du mal…
Pour des raisons de simplicité je veux, dans la discussion qui va suivre, appeler "ouvriers" tous ceux qui n’ont point part à la possession des moyens de production, bien que cela ne corresponde pas tout à fait à l’emploi ordinaire du terme…
Il faut comprendre que même en théorie le salaire de l’ouvrier

n’est pas déterminé par la valeur de son produit.
Le capital privé tend à se concentrer en peu de mains, en partie à cause de la compétition entre les capitalistes, en partie parce que le développement technologique et la division croissante du travail encouragent la formation de plus grandes unités de production aux dépens des plus petites. 
Le résultat de ces développements est une oligarchie de capitalistes dont la formidable puissance ne peut effectivement être refrénée, pas même par une société qui a une organisation politique démocratique.
Ceci est vrai,
 puisque les membres du corps législatif
sont choisis par des partis politiques
largement financés ou autrement influencés
par les capitalistes privés qui, 
pour tous les buts pratiques,
séparent le corps électoral de la législature. 
La conséquence en est que, dans le fait, les représentants du peuple ne protègent pas suffisamment les intérêts des moins Privilégiés. 
De plus, dans les conditions actuelles, les capitalistes contrôlent inévitablement, d’une manière directe ou indirecte, les principales sources d’information (presse, radio,éducation). Il est ainsi extrêmement difficile pour le citoyen, et dans la plupart des cas tout à fait impossible, d’arriver à des conclusions objectives et de faire un usage intelligent de ses droits politiques. 
  La situation dominante dans une économie basée sur la propriété privée du capital est ainsi caractérisée par deux principes importants: premièrement, les moyens de production (le capital) sont en possession privée et les possesseurs en disposent comme ils le jugent convenable… 
           
   La production est faite en vue du profit et non pour l’utilité
Il n’y a pas moyen de prévoir que tous ceux qui sont capables et désireux de travailler pourront toujours trouver un emploi ; une "armée" de chômeurs existe déjà. L’ouvrier est constamment dans la crainte de perdre son emploi.
 Et puisque les chômeurs et les ouvriers mal payés sont de faibles consommateurs, la production des biens de consommation est restreinte et a pour conséquence de grands inconvénients. 
Le progrès technologique a souvent pour résultat un accroissement du nombre des chômeurs plutôt qu’un allégement du travail pénible pour tous.

L’aiguillon du profit en conjonction avec la compétition
entre les capitalistes
est responsable de l’instabilité
dans l’accumulation et l’utilisation du capital,
qui amène des dépressions économiques
de plus en plus graves.
La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus dont j’ai fait mention plus haut.

Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme.   
Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compétition exagérée est inculquée à l’étudiant, qui est dressé à idolâtrer le succès de l’acquisition comme une préparation à sa carrière future.
Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen
d’éliminer ces maux graves,
à savoir, l’établissement d’une économie socialiste,
accompagnée d’un système d’éducation 
orienté vers des buts sociaux.
 
Dans une telle économie, les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’un façon planifiée. Une économie planifiée, qui adapte la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant.
 Léducation de l’individu devrait favoriser le développement de ses facultés innées et lui inculquer le sens de la responsabilité envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succès, comme cela se fait dans la société actuelle. ..

     

                  
Version integrale de l'article paru en mai 1949 pour le  numéro un de la revue Monthly Review:
https://www.marxists.org/francais/general/einstein/1949/00/einstein.htm


.