A Christiane Taubira,
victime du racisme républicain
Alain Vidal
François Hollande rendant hommage à l'école de Jules Ferry.
Christiane Taubira avec Jean-Marc Ayrault au mémorial de Nantes
Christiane Taubira, vous
êtes victime d’un racisme républicain institué par Jules Ferry en 1881, vous
êtes victime d’une idéologie raciale qui, à partir de l’école, s’est transmise
jusqu’à aujourd’hui, telle une réaction en chaîne, de génération en génération.
Encore enseigné dans les classes, il y a une soixantaine d’années, ce racisme, naturalisé
par l’habitude, reste très vivace dans la population.
La non reconnaissance par la France d’un racisme d’Etat inscrit
sur une si longue durée, rend difficile, pour beaucoup, un véritable travail de
remise en question. De même qu'une frontière n'arrête pas un nuage radioactif, la
modification des programmes scolaires sans référence au passé, ne peut stopper
la propagation de représentations raciales transmises par l'Ecole de la
République.
Christiane Taubira, vous n’êtes pas sans
savoir qu’au XXème siècle, le racisme eut officiellement droit de cité dans
la France républicaine bien avant que l’antiracisme ne soit reconnu.
Christiane
Taubira, vous n’êtes pas sans savoir que Jules Ferry a rétabli l’esclavage en
1881 en faisant voter le Code de l'Indigénat par l'Assemblée Nationale. De la
sorte, 52 ans avant les premières lois anti-juives promulguées par Hitler, 70
millions de sujets français seront soumis à un corpus de lois raciales, dans
les trois
départements d’Algérie, en Afrique Noire, à Madagascar, en Nouvelle-Calédonie
et en Indochine.
Le racisme sera
érigé en valeur républicaine, et ce, malgré les protestations indignées de Victor Schœlcher au Sénat,
un an auparavant :
« L’autorité française viole la loi de 1848, accepte la légitimité
de l’esclavage. Au lieu d’élever l’esclave jusqu’à la liberté, elle abaisse la
liberté jusqu’à l’esclavage. S’il faut encore lutter pour l’abolition de
l’esclavage sous la République, je lutterai aussi énergiquement que jamais.»
Mais
Ferry resta sourd à l’indignation du père de l’abolition de 1848.
Qualifié à l'époque par des juristes de monstruosité
juridique, le Code de l'Indigénat a
institué le racisme d'Etat jusqu'en 1946 date à laquelle ce Code fut aboli. Ni
le Front populaire, ni la France libre n’avaient
osé prendre pareille décision. Mais en réalité, ce n’est qu’en 1962 que cet
état de fait cessa.
Christiane Taubira, il nous est impossible d’oublier que,
fraîchement élu président de la République, François Hollande s’est empressé
d’aller, le jour même de son investiture, au jardin des Tuileries devant la statue de Jules Ferry, rendre un vibrant hommage
à celui qui institua l’Ecole pour tous. Mais le chef de l’état fit silence sur la
sinistre mission confiée aux enseignants, celle d’éduquer des générations successives
d’écoliers au racisme d’Etat. La propagande raciale, serait-elle un
détail de l’histoire?
Ainsi endoctrinée par l’école, la jeunesse adhérera massivement à l’esprit de
la colonisation dans le droit fil du discours
du 28 juillet 1885 prononcé par Ferry à la chambre des députés:
« La colonisation est fille de la politique industrielle. La paix
sociale est une question de débouchés. L'exportation est un facteur essentiel
de la prospérité publique et le champ d'emploi des capitaux, comme la demande
du travail, se mesure à l'étendue du marché étranger. La consommation
européenne est saturée ; il faut faire surgir de nouvelles couches de
consommateurs. Les colonies sont pour les pays riches, le placement de capitaux
le plus avantageux. Les races supérieures ont le devoir de civiliser les races
inférieures.»
Pour assumer pareille mission, Jules Ferry s'entoura de
collaborateurs dévoués à la cause, tel Paul Bert de la Ligue de l'enseignement,
auteur de manuels scolaires dans lesquels, par exemple, on lisait:
« Les Nègres ont la peau noire, les
cheveux frisés comme de la laine, les mâchoires en avant, le nez épaté. Les
Nègres, peu intelligents, n'ont jamais bâti que des huttes parfois réunies en
assez grand nombre pour faire une ville. La race intelligente entre toutes,
celle qui envahit et tend à détruire ou à subjuguer les autres, c'est celle à
laquelle nous appartenons, c'est la race blanche.»
Pour Paul Bert qui fut lui aussi ministre de l’Instruction
publique, « Il faut placer l'indigène en position de s'assimiler ou de disparaître.
»
A noter que, de 1877 jusqu’après la deuxième guerre
mondiale, les instituteurs utilisèrent Le tour de France par deux enfants comme
livre de lecture, un manuel où les Européens étaient
ainsi présentés, « La
race blanche, la plus parfaite des races humaines. »
L’Ecole de la
troisième République fut pour les capitaines d’industrie un outil indispensable
pour obtenir le consentement des Français à l'esprit de la très grande France,
à l’esprit de la course au profit au nom des intérêts supérieurs du grand
patronat...
Christiane Taubira, comment
espérez-vous en finir avec les caricatures et les insultes nauséabondes
proférées à votre égard, tant que l'on enseignera aux élèves l’exemplarité
d’une troisième République qui, en dépit des lois raciales, aurait « œuvré
à l’élargissement des libertés fondamentales »?
Bien que le Code de
l’Indigénat ait été aboli, aucune abolition n’aura l’efficacité d’un travail pédagogique
de longue haleine autour de la reconnaissance publique des racines
républicaines du racisme.
Une éducation à
l'antiracisme exige la connaissance de ces pages sombres où tout un peuple fut si
mal éduqué : par le biais de la littérature, du cinéma, des réclames comme
le petit déjeuner Banania, ou les promenades du dimanche en famille, dans les
zoos humains…moments privilégiés où l'on s'amusait à lancer des cacahuètes à
des mamans africaines donnant le sein à leur bébé ! Tout cela jusqu’au
cœur du vingtième siècle, dans une France où, comble de l’hypocrisie, on manifestait, non pas contre les lois raciales de
son propre pays, mais uniquement contre celles du voisin, celles de l’Allemagne
nazie!
Il est vrai que les
Français ont été victimes d’une longue tradition
de racisme banalisé par des personnalités républicaines faisant autorité, et qui
défendaient un capitalisme conquérant initié par la grande bourgeoisie:
En 1871, Renan, dans La Réforme intellectuelle et morale de la
France: « Une race de
maîtres et de soldats, c'est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi
il est fait et tout ira bien. Nous
aspirons, non pas à l’égalité, mais à la domination. Le pays de race étrangère
devra redevenir un pays de serfs, de journaliers agricoles ou de travailleurs
industriels. Il ne s’agit pas de supprimer les inégalités parmi les
hommes, mais de les amplifier et d’en faire une loi. »
En
1879, Hugo, lors d’un banquet républicain : « Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du
noir un homme; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Rendre la vieille Afrique maniable à la
civilisation, tel est le problème. L'Europe le résoudra. Allez, Peuples !
Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Versez votre
trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales,
changez vos prolétaires en propriétaires.»
En 1933,
Barthélemy et Duez, dans Traité de droit constitutionnel: « Notre système impérial
présuppose l’inégalité des races ». En 1946, Dufrenoy
dans Précis de droit colonial: « Ne
nous imaginons pas que la privation de liberté ou la chicote [le fouet] tant honnie soient une atteinte insupportable à leur personne [les
nègres] morale et physique.» En 1948-1949, Deschamps,
à la Faculté de Droit de Paris : « Le système ancien [l’esclavagisme] avait pour lui cet avantage
qu’il existait et qu’il entretenait les routes…»
Malgré tout, un courant
antiraciste existait bel et bien, qu’on songe à Camille
Pelletan, à Clémenceau, en 1885, interpelant et condamnant
publiquement les propos de Ferry à la Chambre. En1914,
le député Charles Dumas plaide dans le même sens. En 1906, Anatole
France proteste publiquement contre la barbarie coloniale. En 1929, le grand
journaliste Albert Londres : « L’esclavage en Afrique, n’est aboli
que dans les déclarations ministérielles.»
En 1943, Simone Weil, des
Forces françaises libres : « La colonisation les
réduit à l’état de matière humaine. Les populations des pays occupés ne sont
pas autre chose aux yeux des Allemands. Le travail forcé a été extrêmement
meurtrier dans l’Afrique noire française, et la méthode des déportations
massives y a été pratiquée pour peupler la boucle du Niger ».
Depuis, est venu le
temps de la dissimulation.
Christiane Taubira,
vous qui étiez présente à Nantes le 25 mars 2012, pour l’inauguration du
mémorial à l’abolition de l’esclavage, initié par le député-maire Jean-Marc
Ayrault, aujourd’hui premier ministre, vous avez lu ces lignes gravées, « L’esclavage
est rétabli par Napoléon en 1802. Il faut attendre Victor Schœlcher et la deuxième
République pour que l’esclavage soit définitivement aboli en France et dans ses
colonies le 27 avril 1848 ».
Par contre, nulle
part, vous n’avez pu y lire que Jules Ferry a rétabli l’esclavage en 1881, et nulle
part non plus, qu’il faut attendre 1946 et la quatrième République pour que Félix
Houphouët-Boigny monte à la tribune de l’assemblée nationale et demande d’abolir
« cet esclavage déguisé qu'est
le travail forcé.» Ainsi les députés dont Aimé Césaire, abolirent
le Code de l’Indigénat. Avant l’inauguration, deux associations, Libérons La Monnaie et Au-delà
de la Servitude, avaient alerté les responsables du Mémorial de ces
manquements à l’histoire, dans le cadre de réunions, puis par courrier…Bien qu’une
réponse écrite n’ait pas contesté cet argumentaire, rien n’y fit, ces rappels
restèrent lettre morte.
Autre oubli de taille, dans ce mémorial, pas la moindre mention au Code
Noir édicté par Colbert sous Louis XIV.
Christiane Taubira, œuvrez
pour que partout soit rétablie la vérité historique. Agissez pour que le
discours de Jules Ferry du 28 juillet 1885 soit lu et commenté dans les
établissements scolaires, que le Code de l’Indigénat soit connu et étudié, que
des expositions relatent avec documents, films et chansons à l'appui comment,
par une propagande quotidienne, le racisme a pu cancériser une société pour si
longtemps en s’installant dans la banalité du mal.
Christiane Taubira, l’histoire
n’est pas un roman national ; le devoir de mémoire ne saurait s’exonérer d’un
devoir d’histoire expurgé de toute occultation, de toute affabulation, de tout
négationnisme. Que les racines républicaines du racisme soient portées à la
connaissance de tous pour qu'enfin, dans les familles, des parents cessent
d'instrumentaliser des enfants de douze ans qui, comme à Angers, agitent des
bananes en votre présence...Face à cela, condamnations, pétitions et manifestations
sont nécessaires, mais n’auront jamais l’efficacité
d’un travail de conscientisation sur le long terme.
Ce racisme d’Etat a été d’autant plus dévastateur que la troisième république se réclamait des droits de ’homme.
La construction du racisme appelle sa déconstruction.
L’esprit colonisé ne peut se décoloniser que s’il prend conscience du processus de sa colonisation.
Le racisme ce n’est pas naturel, ça s’apprend…et ça se désapprend.
Ce racisme d’Etat a été d’autant plus dévastateur que la troisième république se réclamait des droits de ’homme.
La construction du racisme appelle sa déconstruction.
L’esprit colonisé ne peut se décoloniser que s’il prend conscience du processus de sa colonisation.
Le racisme ce n’est pas naturel, ça s’apprend…et ça se désapprend.
Alain Vidal
Libérons
La Monnaie, Nantes le 24/11/13
2 commentaires:
Article très intéressant, la lumière est faite sur une phase obscure de la "gauche" dite républicaine...Taubira sait pertinemment où elle a mis les pieds et par conséquent elle ne peut pas se scandaliser ainsi... Une forme de racsisme est instutionaliser et ce depuis des siècles!!! L histoire doit être remise à plat! Sur ce merci Alain pour cette éclairé e lucidité :)
Thank you for bbeing you
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